Ça fleure bon les fruits frais, les fraises surtout. Aussi par volutes les annuelles exhibées sur les trottoirs au bord du marché. Le brouhaha de la foule tonne doucement tandis que la grisaille collante – qui sera sans doute à jamais indissociable de l’été 2008 – écrase Québec, son Vieux-Port et son 400e.
Petite aventure «outre-Parc». Les travaux vont bon train sur la route qui nous sépare de la capitale. Comme quoi 400 ans plus tard, nous avons encore beaucoup à construire.
À peine arrivé sur le site réservé aux Jardins éphémères, j’aperçois Rouages, cette structure imaginée par le collectif saguenéen Cédule 40 – Julien Boily, Sonia Boudreau, Étienne Boulanger et Noémie Payant-Hébert. La rampe d’accès au mécanisme est déjà surmontée par les silhouettes d’une dizaine de visiteurs. Leur flot ne diminuera que rarement pendant les quelques heures que je passerai sur le site, malgré la température menaçant de verser dans l’orage à tout moment.
Vingt-cinq tours d’une manivelle – «J’en ai fait bien plus!» lancent certains passants en rigolant, débordant d’une joie presque enfantine à l’idée d’avoir outrepassé les règles. Par un jeu complexe d’engrenages, le mouvement de rotation se transforme en une force tranquille qui fait se mouvoir imperceptiblement la machine agricole. Ainsi, chacun met l’épaule à la roue avec amusement. Lentement, le labour se creuse. La terre est éventrée. Et dans le sillon, la semence germe.
Personnellement, j’avoue avoir été moins séduit cette fois que lorsque j’ai pu voir le projet de balançoire présenté par Cédule 40 aux Jardins de Métis (Sous-terrain de jeux) – où il a encore été réinventé, présenté pour un troisième été consécutif. Le jaune flamboyant de la structure, l’effet immédiatement perceptible – les graines semées à tout vent au moindre balancement. Cette fois, la structure est plus sobre, ses couleurs moins percutantes, et le résultat est plus subtil.
Toutefois, ça fonctionne. Les gens participent de bon cour à l’évolution du jardin. Plusieurs mètres ont déjà été traversés par la machinerie, preuve indéniable de l’engouement qu’elle suscite.
Dans un autre contexte, on aurait sans doute entendu retentir le fameux commentaire «C’est de l’art, ça?». Cette interrogation, loin de montrer l’échec de l’art comme on pourrait le croire, est plutôt témoin de son succès. Parce que si la question se pose, déjà, l’ouvre a eu son effet. Elle a dérangé, questionné, surpris, voire ébranlé. Mille fois mieux que ces ouvres qu’on a l’impression d’avoir toutes déjà vues, ou qui disparaissent dans le paysage, oubliées, ignorées.
Aux Jardins éphémères, comme au Festival international des Jardins de Métis, c’est impossible. On ne peut que se laisser apprécier. On participe. On pénètre. Un public souvent néophyte est placé devant des ouvres remarquables, que ce soit par leur beauté ou leur ingéniosité, même devant des ouvres conceptuelles, sans pour autant qu’il n’y ait de choc.
Plusieurs des jardins qu’on peut visiter dans le cadre du 400e de Québec ont réussi ce pari. Je pense entre autres au jardin créé par l’équipe du Manitoba. Une ouvre désarmante de simplicité, terrasse éclatante où les gens font plus que passer – s’y arrêtent et s’y reposent, parfois longuement.
Qu’est-ce qui rend l’appréciation de ces jardins si facile? Sans doute est-ce en partie parce que l’ouvre repose sur des signes que tout le monde connaît. Des fleurs, des plantes et des feuillages. Du bois, du sable, des pierres et de la terre. Et quelques matériaux d’exception qui viennent confirmer la règle d’une harmonie agréable et apaisante.
«Je pense que je vais dire à Roland de venir faire son tour. Pour son jardin.» Chacun sait apprécier le travail des artistes selon sa propre expérience de la vie. Et c’est bien ainsi.
De retour à la maison, mon fils s’est mis à dessiner des plans inimaginables pour réaménager complètement notre cour arrière. Un labyrinthe de bambou sur le cran, une cabane en miroir, et toutes sortes d’inventions amusantes et couvertes de fleurs de toutes les couleurs.
Pour ma part, j’allais sur place en particulier pour voir le travail de Cédule 40. J’en reviens avec en tête une métaphore. Celle du lent labour.
Quand on s’intéresse à l’art contemporain, on voit beaucoup, beaucoup d’efforts. dont les effets sont malheureusement presque invisibles. Mais je constate tout de même la lente pénétration de l’art dans le milieu social. Il suffit que les gens se sentent interpellés.
Pour y arriver, il n’y a sans doute rien de mieux qu’un jardin, zone tampon entre la beauté profane et les arts contemporains.
À quand nos jardins éphémères dans les zones vertes de Saguenay? Aux parcs Mars, de la Rivière-au-Sable, de la Rivière-du-Moulin. Ou dans la zone portuaire. Qui sait, Cédule 40 pourrait peut-être s’occuper de la défriche.