Complètement Martel

Je suis contre l’avortement

Ouch. Ça frappe, un titre comme ça, n’est-ce pas? Il fallait que ce soit clair dès le départ, parce que je m’en vais argumenter pour ce qui pourrait sembler être le contraire. On ne pourra pas me reprocher un quelconque manque de transparence.

Au début de juillet, on annonçait que le docteur Henry Morgentaler, survivant de la Shoah aujourd’hui âgé de 85 ans, serait décoré de l’Ordre du Canada. Depuis, j’ai reçu une flopée de lettres d’opinion réclamant que la décision soit révoquée, d’autres encensant celui qui a milité pour la légalisation de l’avortement. Certains décorés auraient même décidé de retourner leur médaille en guise de protestation contre sa nomination. On rend le médecin responsable de 100 000 avortements. On n’a pas fini d’en entendre parler.

J’ai déjà précisé ce que je pense du dossier. Sans doute est-ce redevable à mon éducation, ou à mon parcours de vie. Déjà à 15 ans, peut-être même avant, je savais que je voulais avoir des enfants. C’était écrit quelque part que je ne réussirais à m’accomplir qu’en devenant père – ce qui se vérifie de jour en jour depuis sept ans, et doublement depuis peu. Ce n’est certainement pas par conviction religieuse. C’est simplement que le respect que j’entretiens pour la vie est immense.

Pour moi, l’avortement est une question qui ne s’était jamais posée. jusqu’à ce jour fatidique où on a soupçonné un problème de santé chez mon deuxième fils, qui baignait encore dans son enceinte maternelle. Un médecin nous a alors pris en aparté, isolés dans un bureau encombré de l’hôpital où nous nous trouvions. Et alors, il nous a fortement suggéré de faire subir à ma conjointe une amniocentèse pour connaître la condition de l’enfant. Son argument donnait froid dans le dos: «Après sa naissance vous ne pourrez plus rien faire. Avant sa naissance, il est encore temps de faire quelque chose: il n’a encore aucun droit.»

Alors j’ai vu toutes les femmes qui se sont assises devant lui et à qui on aura fait la même suggestion, pour la même raison. Je crois bien n’avoir jamais détesté autant un être humain. Il me répugnait de voir qu’on en était à l’institutionnalisation de l’avortement, traité avec banalité, comme n’importe quelle intervention médicale. Il me semble qu’entre la légalisation et l’encouragement, il y a tout un monde.

Alors oui, personnellement, je suis contre l’avortement. Mais dans les faits, ne le sommes-nous pas tous? Personne de sensé n’est FAVORABLE à cet acte. On n’a jamais vu une femme sortir dans la rue en brandissant une pancarte où aurait été inscrit en lettres rouges «J’aime avorter.» ou «Marie, 25 ans, fière de ses trois avortements.» Aucune femme saine d’esprit ne s’en vantera. Rares sont celles qui en parlent, même.

Imaginons la banalité d’un repas entre amis.

– Où t’étais vendredi dernier? Je t’ai appelée pour aller magasiner.
– Oh, tu sais, je suis allée me faire avorter – d’ailleurs, le médecin était mignon. Et après je suis allée faire l’épicerie. Il était temps, je n’avais plus de fruits!

Non. On n’en parle pas. Pas parce que c’est honteux – honni soit qui mal y pense. Ni parce que c’est illégitime. Chacun a ses propres raisons de garder ou non un enfant.

Aucune femme n’avorte par envie, ou par principe. Si on le fait, quand on le fait, c’est par nécessité, devant l’urgence d’une situation qui nous dépasse. Et c’est là que réside le noud du débat.

D’un côté, il y a ceux qui militent contre l’avortement. Mais leurs adversaires ne valorisent pas le foticide; ils ne sont pas les meurtriers sanguinaires pour lesquels on voudrait les faire passer – vous devriez voir ce que certains écrivent de Morgentaler; impossible de publier de telles insanités. Pourtant, il n’est pas question de favoriser l’avortement, mais de permettre le libre choix des femmes – ce pour quoi s’est battu l’éminent médecin.

Là où je veux en venir, c’est que j’ai beau être contre l’avortement, le fait que je pense ainsi ne me permet pas d’imposer mes vues à qui que ce soit. Je n’ai rien à dire sur ce que les femmes font de leur corps et de leur matrice. Et quand on voit la situation de certains enfants, on se dit que donner la vie est parfois un cadeau de Grec.

La légalisation de cet acte médical aura empêché plusieurs naissances, sans doute, mais aura aussi permis de sauver des vies. Les cauchemars évoqués par certaines femmes à propos de fil de fer et d’aiguilles à tricoter usités pour le foticide sombrent lentement dans l’oubli, devenant des mythes heureusement lointains (chez nous, du moins).

Je suis donc contre l’avortement par principe, mais j’accepte aussi par principe que tous ne pensent pas comme moi parce que j’ai beaucoup de respect pour la liberté individuelle. Dans une société où il n’y a plus de vérité au sens large, il faut accepter que les opinions soient partagées, quitte à ce qu’on ne se comprenne pas.

Si la situation devait se présenter, j’essaierais de convaincre quiconque me demanderait conseil de garder son enfant. Mais je crois que Morgentaler mérite sa médaille pour le choix qu’il a permis d’offrir aux femmes. Si la décoration lui était enlevée, ce serait un recul démocratique important.