Complètement Martel

Unplugged

ATTENTION: LA PRÉSENTE CHRONIQUE CONTIENT DE NOMBREUX EMPRUNTS À L'ANGLAIS. NOUS PRÉFÉRONS VOUS EN AVERTIR. 

Unplugged 

Quel drôle d’animal que le théâtre d’été. Docile et parfait, il besogne. Comme ces bêtes auxquelles on dit: «Travaille», et qui travaillent. Ces bestiaux un peu absents mais d’une fiabilité incomparable. Qui ruminent la même histoire ou à peu près.

On sait à quoi s’attendre. On l’a. On est content.

Quand je suis allé assister à la production estivale de La Rubrique, L’Espace entre nous, j’étais complètement brain off. Ceux qui doutent de l’existence d’un interrupteur permettant un tel décrochage ne sont jamais venus faire leur tour dans ma tête. Quand ce sera portes ouvertes, je vous fais signe.

Alors Jean-François unplugged, accompagné de quelques amis, se présente à la salle Pierrette-Gaudreault avec un seuil d’attentes situé au niveau minimum. C’était sans doute gage de succès. Ainsi, Jean-François unplugged était ouvert à cette expérience. Il en a profité pour rire grassement et sans retenue, pour se taper les cuisses et pour étirer un sourire niais qui, heureusement peut-être, était invisible dans l’obscurité.

Une personne me mentionnait au sortir du spectacle à quel point elle était déçue de voir qu’on ne pouvait pas se sortir de cette structure conventionnelle de la fable qui fait que toutes les pièces de théâtre d’été en viennent à se ressembler, si prévisibles qu’elles en sont déconcertantes. Alors j’ai remis la switch à on. Le problème ne vient pas de la pièce, ni même du type de théâtre. Il est intime et personnel. Si on s’attend à voir du Robert Lepage dans un théâtre d’été, on ne peut que déchanter. De la même façon, si on veut crouler d’un rire proche de l’insignifiance, innocemment et sans contraintes, on n’assiste pas à une production de la Compagnie Marie Chouinard. Pour apprécier la culture, populaire ou non, il faut savoir où l’on va, et en tenir compte lors de notre appréciation. 

Évidemment, on ne va pas au théâtre d’été pour se casser la tête. N’empêche que j’aurai relevé quelques passages qui m’auront fait réfléchir – bon, OK, finalement, l’interrupteur était peut-être collé.

Dans L’Espace entre nous, l’un des deux frères est l’auteur d’un roman. Toutefois, il refuse net que ses proches en fassent la lecture – on reconnaît ici l’incontournable cliché de l’écrivain inattendu, comme sorti d’une boîte à surprise, dont le texte est sacré au point où il refuse toute lecture, percevant un tel acte comme un danger, une profanation dévastatrice. Comme si tous les auteurs avaient peur du jugement d’autrui. Bien sûr, j’éprouve quelque réticence devant le concept – la question est bien plus souvent de trouver un lecteur sérieux plutôt que de laisser ou non un proche y jeter un oil intéressé.

En fait, peut-être que ce qui pousse un auteur à cacher son ouvre aux yeux de ses proches, c’est plutôt une question bêtement pécuniaire. Les premiers acheteurs de livres ne sont-ils pas souvent des connaissances?

Devant le refus de son benjamin de lui laisser soulever la couverture de son imaginaire, Denis, le personnage du grand frère, professeur de français frustré, lui rétorque: «Ça, c’est comme Raël. Il dit qu’il a cloné un humain mais il ne laisse personne le voir.» (Et tonnent les rires dans la salle.)

Ça y est. Raël est devenu notre clown de service. Quand on devient une référence absurde dans le texte d’un théâtre d’été, j’imagine qu’on peut dire qu’on a réussi sa vie.

J'aurais voulu être un artiste

Je me plais parfois à croire que Raël est un artiste conceptuel, expert en manouvre et en performance, qui étire la sauce d’un projet entamé dans les années 70. Plusieurs artistes ont mis sur pied des projets qui de prime abord semblaient totalement absurdes, voire sont devenus eux-mêmes de véritables personnages. Dans la région, on peut penser à l’Illustre Inconnu de Denys Tremblay, ex-roi de L’Anse-Saint-Jean. Mais aussi, on pourrait sans doute citer Orlan, qui a entre autres métamorphosé son propre corps avec différents implants. Les idées raëliennes ne sont pas loin de faire penser au bio-art, aussi, comme cette lapine transgénique vert fluorescent, joliment appelée Alba, présentée par Eduardo Kac lors du Planet Work Conference à San Francisco en 2000. Il y a dans tout cela non pas des idées communes, mais quelque chose comme la parenté d’une folie créatrice, une inspiration qui rapproche l’art des prétentions religieuses de Raël et de ses acolytes.

Bien sûr, je doute fort de voir un jour Raël sortir du placard en avouant à ses 65 000 adeptes (chiffre avancé par le mouvement raëlien) que tout cela était un projet artistique particulièrement élaboré. Mais dans le secret de mon imaginaire, quand je me retrouve seul avec moi-même et mes inventions farfelues, c’est presque possible. Peut-être que ce sera cette porte de sortie qui lui permettra, en 2035, de se faufiler, si jamais les extraterrestres n’étaient pas au rendez-vous fixé à cette ambassade que le mouvement a espoir de construire en Israël.

Si c’était le cas, Raël aurait sans doute été l’un des artistes conceptuels les plus populaires du monde.

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Finalement, ce drôle d’animal qu’est le théâtre d’été m’aura mené sur d’étranges chemins de traverse.

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Orlan: www.orlan.net. Voir Self-Hybridation à propos de la métamorphose physique de l’artiste.  La section Vintages, même si elle s’éloigne de mon propos, est particulièrement intéressante, si je puis me permettre. Ses photographies de sculptures du corps frappent l’imaginaire.

Eduardo Kac: www.ekac.org. Voir la section GFP Bunny (2000) et toutes ses déclinaisons.

Lisez aussi dès jeudi une critique complète de la pièce L'Espace entre nous dans notre section Scène.