Il avait été décidé que le sujet ne serait pas abordé en conférence de presse. Qu’on avait de belles choses à annoncer et qu’on s’y restreindrait. Une pièce de Tchekhov, mettant en scène 13 comédiens parmi la crème du Saguenay, preuve incontestable, selon Rodrigue Villeneuve, metteur en scène et directeur de la compagnie de théâtre des Têtes Heureuses, que la scène théâtrale de notre région est remarquablement développée. Une telle production, reposant sur le jeu des acteurs, demande beaucoup de talent – qualitativement et quantitativement.
Et pourtant, après que les journalistes eurent investi la salle, traversant dans un spasme appréhendé le vomitoire d’où surgiront les comédiens lors des représentations. La purge n’a pu être retenue très longtemps. Si le théâtre est particulièrement riche par chez nous, ce n’est pas le cas des Têtes Heureuses, qui devront racler les fonds de tiroir pour continuer à présenter leurs productions.
Bien sûr, devant les vautours rassemblés – j’en étais -, Rodrigue Villeneuve a insisté sur la production à venir, révélant les grandes lignes de sa mise en scène de La Cerisaie ainsi que les quelques événements entourant sa présentation. Parmi les invitations lancées au public, une soirée-bénéfice pour laquelle seront vendus des billets à 50 $. Il n’en fallait pas moins pour que le sujet des finances de la compagnie soit soulevé.
En effet, les Têtes Heureuses ont reçu de mauvaises nouvelles au cours de l’été. Après des années particulièrement chargées, qui ont mené la compagnie et une assemblée de comédiens jusqu’à Ottawa (Le Capitaine Fracasse y était présenté dans le cadre du festival Zones théâtrales) et même Lyon (où avait été accueillie la Caravane des 10 mots québécoise dirigée par ladite compagnie). Avec des réalisations de cette importance, de nombreuses collaborations avec des organismes de la région, 27 années de production, quiconque pourrait croire que les Têtes Heureuses sont bien établies. Et pourtant.
Un mal ronge notre théâtre. C’est un cancer rouille qui brûle et gangrène les organes de la région – tous, sans exception. C’est l’exigence de rendement. Le 100 Masques y goûte plus qu’à son tour. Les Têtes Heureuses n’y ont pas échappé.
Pour l’année 2008-2009, le Conseil des arts et des lettres du Québec a versé 55,4 millions de dollars à 413 organismes artistiques ou littéraires de la province pour soutenir leurs activités courantes de fonctionnement. De cette somme, seulement 1,1 million a été distribué parmi des organismes de notre région, tous secteurs confondus. Ce pactole a fait quelques heureux. L’organisme le plus subventionné dans la région est La Rubrique, avec 187 106 $, suivi de près par l’Orchestre symphonique du Saguenay-Lac-Saint-Jean, 185 640 $. Les Têtes Heureuses, quant à elles, ont vu passer leur soutien de 50 000 $ à 37 500 $, une diminution de 25 %. Et selon Rodrigue Villeneuve, le couperet pourrait bien s’abattre à nouveau dans deux ans, puisque c’est le temps accordé à la compagnie pour «régulariser» sa situation.
On reprocherait plusieurs points à la compagnie, entre autres d’accorder une trop large part de son budget à ses productions, d’être trop universitaire (les fameux colloques associés aux productions et la proximité de l’UQAC, qui fournit aux Têtes Heureuses un accès ponctuel au Petit Théâtre, fausseraient la perception que les organismes subventionnaires entretiennent quant à la portée de la compagnie). Pour Villeneuve, toutefois, pas question de changer. À preuve, la décision de s’en tenir à la production de La Cerisaie, malgré la nécessité de payer 13 comédiens, sans compter les concepteurs, et la reconduction de l’événement de rencontres théâtrales, plus ou moins bien intitulé «colloque».
On se trouve donc dans une impasse qui pourrait bien faire rouler quelques têtes – un peu moins heureuses, sans doute, regardant d’en bas le gibet. À moins qu’on accepte enfin de voir l’apport de la compagnie, dont les effets se font sentir bien au-delà de l’univers universitaire. Ou encore, que les Têtes Heureuses se détournent de l’horizon qu’elles toisent depuis toujours, et acceptent de produire comme on devrait toujours le faire en région. Avec moins de moyens, peu de comédiens, des textes large public. Ou qu’elles ne se mettent à former en série de jeunes spectateurs qui s’intéresseront plus tard au «vrai» théâtre qui nous viendra, bien sûr, en tournée de la métropole. Comme si on ne pouvait pas accoucher d’un théâtre accompli.
Et on continuera d’applaudir les comédiens d’ici qui se sont faits ambassadeurs un peu malgré eux, exilés vers un monde espéré meilleur, plutôt que de voir le talent de ceux qui sont restés, voire de ceux qui sont venus s’installer ici. Sans doute parce que l’offre d’un théâtre professionnel est trop belle pour une région comme la nôtre?
Cette chronique ne se terminera pas sur un punch, un constat ou une réflexion. Je saluerai simplement, avec le plus grand des respects, les comédiens de la production des Têtes Heureuses: Louis Amiot, Dominique Breton, Richard Desgagnés, Alexandre Larouche, Dario Larouche, Johanna Lochon, Sara Moisan, Christian Ouellet, Éric Renald, François Soucy, Patrick Simard, Caroline Tremblay, Marie Villeneuve. Et avec eux, Rodrigue Villeneuve et Hélène Bergeron, dont la foi semble inébranlable. Et que tous ces autres comédiens qui agissent au Saguenay se sentent interpellés. Ça ne paie pas un lunch, mais c’est sincère.
Ne s’agit-il non pas d’Hélène Soucy, mais bien Hélène Bergeron?
Juste une petite rectification, il faudrait lire «Et avec eux, Rodrigue Villeneuve et Hélène BERGERON dont la foi semble inébranlable» et non pas Hélène SOUCY… bien qu’elle existe aussi dans le monde théâtrale!).
Iiips. Mes plus plates excuses à Madame Bergeron. Ce n’est pourtant pas parce qu’il est facile de l’oublier… Effectivement, c’est Hélène Bergeron qu’on aurait dû lire plutôt qu’Hélène Soucy, même si cette dernière est très impliquée dans le milieu du théâtre. Je ne compte plus le nombre de gens de théâtre qui l’ont remerciée lors d’entrevues. Elle méritait donc aussi que je la salue, comme bien d’autres…
Disons que c’était pour voir si vous lisiez mes chroniques jusqu’au bout. Je fais la correction immédiatement.
Hmmmm… avec un tel talent pour retourner à ton avantages les excuses, tu pourrais songer à la politique. Je m’arrête là, je laisse Claude Perrier te parler de dépanneurs…
Sans nécessairement me faire l’avocat du diable, je me questionne sur l’acoquinement avec l’UQAC, qui vit pas mal avec des deniers publics et aussi le fait que M. Villeneuve enseigne à l’université. Ce genre de proximité pour des organismes bénéficiant de subventions, peut faire office de couteaux à double tranchant, surtout au moment d’une année de bas achalandage.
Le problème est que socialement le Québec ne peut se passer de théâtre et de culture, mais que les budgets gouvernementaux de fonctionnement sont établis dans des cadres non philosophiques et non culturels. Pour que les arts deviennent prioritaires, il faudrait élever la capacité de tous les Québécois à penser par eux-mêmes, voire élever le niveau moyen de culture de chaque individu. Malheureusement l’état continuera d’investir dans le soin du corps au détriment de l’esprit, car il et plus facile de dominer un corps malade, qu’un esprit ouvert!