Complètement Martel

Force de frappe

<p>Il y a des projets qui frappent l’imaginaire. Imprégner le sceau de saint Jean-Baptiste sur une montagne en est un. Ce n’est pas le seul.</p>
<p>J’ai fini mon secondaire dans un bled de 3000 habitants, un hameau en forme d’œil s’ouvrant sur le superbe lac Témiscouata. Rien à voir avec la vaste étendue du lac Saint-Jean, j’en conviens. Mais un paysage remarquable. </p>
<p>C’est une étendue d’eau étirée dans un axe nord-sud, qui se rend presque au Nouveau-Brunswick, chatouillée par une piste cyclable retraçant une ancienne voie ferrée et enjambant les mêmes tracels. Un lac qui crache des brumes odorant le sous-bois à l’automne. Qui cache les traces de ceux qui l’arpentent en hiver, marcheurs ou chevreuils. Qui mâche ses glaces au printemps dans un bruit de vaisselle cassée, avant de les écumer en moraines bleues sur la grève. Qui lèche les cuisses des baigneuses s’y aventurant les beaux jours d’été. J’ai toujours apprécié ce qu’il m’offrait de trésors.<br />En face, que du bois, presque inaccessible – à moins d’avoir une embarcation, ou de faire le grand tour par Squatec, ce qui, vous pouvez me croire sur parole, rend l’exercice trop laborieux pour être digne d’intérêt. C’est la montagne du Fourneau qui, avec sa forme de boa ayant mangé un éléphant, se raconte comme une légende, parlant de volcan millénaire, de cirque glaciaire, de rudes combats. </p>
<p><strong>L’ESPRIT DE LA MONTAGNE</strong></p>
<p>Au cours des années 90, un artiste cabanois, Rock Belzile, a eu l’idée d’un chantier artistique gigantesque qui allait faire s’échafauder quelques barricades. Pourtant, le projet se voulait rassembleur. Ce qu’il proposait, c’était que la population régionale s’identifie à un symbole créé de toutes pièces pour représenter Thémis, «l’esprit de la montagne». Au début, on a vu apparaître ledit symbole à la devanture des commerces et chez des particuliers. Il a même été tracé avec plusieurs voyages de terre à la surface du lac gelé – ce qui avait fait sourire bien des sceptiques, qui avaient vu le symbole s’enfoncer dans le lac parce que la terre absorbait la chaleur du soleil… Mais de toute façon, Thémis demandait un plus grand sacrifice.</p>
<p>On se doute de la suite. Cette histoire d’esprit a commencé à déranger quelques citoyens. La machine à rumeurs s’est emballée, et ça n’a pas été long avant que Belzile soit associé à une sorte de gourou en puissance en train d’endoctriner toute une population. Quand on parle d’incompréhension…<br />À peu près à la même époque, l’artiste a proposé son grand chantier: un immense symbole en aluminium, haut de 78 mètres, large de 70 mètres, qui aurait dû donner un visage à la montagne du Fourneau, où aurait pu se mirer toute la région du Témiscouata. D’autres ont préféré dire que le projet aurait défiguré le paysage. </p>
<p>Il y a 10 ans presque jour pour jour, devant la pression populaire, Rock Belzile abandonnait son projet d’œuvre monumentale. Il reste quelques traces du symbole en ville, mais il n’aura jamais été cette source de cohésion qu’espérait l’artiste.</p>
<p>(Pour voir des photos de la montagne du Fourneau et du symbole Thémis, voyez mon billet intitulé <em><a class="" href="http://www.voir.ca/blogs/popculture_saguenay/archive/2008/10/31/chose-promise-chose-due.aspx" target="_blank">Chose promise, chose due</a></em>.)</p>
<p><strong>BAPTISTE, R’PRENDS TON PAYS</strong></p>
<p><a href="http://www.voir.ca/blogs/popculture_saguenay/printemps.gif"><img hspace="5" src="http://www.voir.ca/blogs/popculture_saguenay/printemps.gif" align="right" border="0" alt="" /></a>Exactement à la même époque, un personnage naissait à L’Anse-Saint-Jean, vous vous en souviendrez. <a class="" href="http://www.roidelanse.qc.ca/inconnu/cv.php" target="_blank">L’Illustre Inconnu</a> s’est métamorphosé, vive le <a class="" href="http://www.roidelanse.qc.ca/" target="_blank">roi Denys 1er</a>! Et la sympathique bourgade devenait par voie de référendum une monarchie municipale, coup de théâtre particulièrement réussi. L’artiste Denys Tremblay, qui était l’instigateur du projet, cherchait à devenir lui-même le symbole d’une cohésion sociale, croyant avec ferveur au rôle que la culture et l’art peuvent jouer dans le développement d’une région. C’est d’ailleurs lui qui <a href="http://www.voir.ca/blogs/popculture_saguenay/ete.gif"><img hspace="5" src="http://www.voir.ca/blogs/popculture_saguenay/ete.gif" align="right" border="0" alt="" /></a>avait organisé l’événement majeur du Symposium international de sculpture environnementale de 1980, dont on trouve encore des traces entre autres sur le site de La Pulperie. Et c’est lui qui organisait plus tard le sauvetage de la maison Arthur Villeneuve, qu’il aurait aimé mettre sous une cloche de verre…</p>
<p>Pour avoir déjà discuté à quelques reprises avec Tremblay de son projet de monarchie et de fresque végétale (le visage de saint Jean-Baptiste), qui avait <a href="http://www.voir.ca/blogs/popculture_saguenay/automne.gif"><img hspace="5" src="http://www.voir.ca/blogs/popculture_saguenay/automne.gif" align="right" border="0" alt="" /></a>alimenté mon imaginaire jusque dans les hautes terres du Bas-du-Fleuve, j’ai vite compris que son abdication après seulement trois ans (en 2000) le laissait encore amer. Et ce doit être un petit velours de voir que le projet d’une gigantesque fresque végétale refait surface, soutenu cette fois par une volonté politique. Comme quoi il y avait du bon là-dedans… </p>
<p>Joint au téléphone, Alain Goulet, directeur général du Mont-Édouard, a conscience que le dossier de <a href="http://www.voir.ca/blogs/popculture_saguenay/hiver.gif"><img hspace="5" src="http://www.voir.ca/blogs/popculture_saguenay/hiver.gif" align="right" border="0" alt="" /></a>la fresque est extrêmement délicat. À plusieurs reprises, il réitère tout le respect qu’il a pour l’artiste qui avait imaginé la grande œuvre. Le projet est encore très embryonnaire, et aucune amorce n’a été faite en ce sens, mais il ne rejette pas l’éventualité que Denys Tremblay soit associé d’une manière ou d’une autre à l’entreprise. Et il assure même que le maire anjeannois, Claude Boucher, contrairement à ce qui a été rapporté par Radio-Canada, est intéressé par sa réalisation. Selon Goulet, le maire y donnerait son aval à la condition que ça ne se fasse pas au détriment des finances municipales…</p>
<p>Parfois, on dirait que plus le projet est gros, plus il est fragile. N’empêche que les immenses chantiers imaginés par les artistes, même ceux qui ne sont jamais réalisés, peuvent être très réussis. Surtout si, 10 ans après, ils renaissent d’eux-mêmes.<br /></p>