Complètement Martel

Gaston Miron: le géant rapaillé

<p>Ils sont là, entassés l’un sur l’autre, et surplombent ton existence. Des géants qui en imposent, qui te font sentir petit. Bien trop petit. </p>
<p>Lorsque, pendant le travail, tu lèves les yeux vers ta grande bibliothèque, tu interroges souvent, avec une ferveur presque religieuse, les auteurs dont tu as colligé certaines œuvres. </p>
<p>Parfois, entre deux phrases, lorsque l’écran est aveuglant et que tes yeux demandent du repos, tu t’arrêtes assez longtemps pour les inviter à te rejoindre. Et tu fouilles l’un ou l’autre poème, tu lis un chapitre au hasard…</p>
<p>Avec certains auteurs, tu entretiens une relation particulière. C’est un rapport qui oscille entre le simple divertissement et la richesse du mentorat. Parfois, tu leur parles comme d’autres s’adressent au Christ. Parce que tu crois à toutes les littératures. Parce que c’est comme ça que tu comprends le monde. Alors tu cherches dans leurs écrits les réponses qui te manquent. Et parfois tu les trouves.</p>
<p>Gaston Miron fait partie de ceux que tu invoques, à l’occasion. Au fil de tes trop longues études, il se tenait à proximité, jamais très loin sur le rayon, ou à plat au coin du bureau. Encore récemment, tu l’invitais au salon pour prendre un verre de rouge en sa compagnie. Et dans l’intimité de l’ambiance claire-obscure, tu l’écoutais en te mettant ses vers en bouche. Dans l’écho grisant du sommeil étanche des enfants, La Marche à l’amour et ses vibrants écarts amoureux… «<em>je roule en toi/tous les saguenays d’eau noire de ma vie</em>».</p>
<p>Quand tu penses à lui, tu as en tête cette photographie que tu as vue un jour. Chez un professeur de l’UQAC où tu étais allé souper, on avait ouvert une boîte débordante de souvenirs que tu aurais voulu t’arroger. Ici, un napperon au dos duquel Miron avait griffonné quelques vœux. Là, une photo du poète, figure de géant, penché sur un fils – celui du professeur, devenu depuis un grand gaillard. Et encore l’harmonica chromé dont il jouait, dans le reflet duquel tu t’es reconnu – jamais objet, sans doute, ne t’aura tant bouleversé. </p>
<p>Et brodant entre eux chacun de ces éléments, le récit d’anecdotes qui mettait de l’homme au travers des poèmes, qui le rapaillait à même les souvenirs cumulés. </p>
<p>Quand tu y repenses, tu te trouves quand même un peu chanceux de voir ton fils prendre la parole parmi d’autres poètes, et au travers des artistes qu’il rencontre dans les vernissages. Il a peut-être déjà la protection du prochain Miron, ou pourra se flatter d’avoir vécu un peu du parcours de quelque artiste de renom.</p>
<p><strong>MIRONADE À VENDRE</strong></p>
<p><a href="http://www.voir.ca/blogs/popculture_saguenay/12hommesrapailles.jpg"><img style="WIDTH:340px;HEIGHT:295px;" height="295" hspace="5" src="http://www.voir.ca/blogs/popculture_saguenay/12hommesrapailles.jpg" width="340" align="right" border="0" alt="" /></a>Mardi dernier était lancé l’album <em>Douze Hommes rapaillés</em>, un disque calme faisant entendre une douzaine d’extraits de poèmes de Gaston Miron. Ont donné leur voix au poète décédé en 1996 les Michel Rivard, Yann Perreau, Daniel Lavoie, Richard Séguin, Plume Latraverse, Martin Léon, Pierre Flynn, Jim Corcoran, Michel Faubert, Louis-Jean Cormier, Vincent Vallières et Gilles Bélanger, à qui l’on doit le projet. </p>
<p>L’exercice était hasardeux. Les écueils sont nombreux lorsqu’on tente de mettre en musique des textes qui n’y étaient pas destinés, et plusieurs explorateurs se sont échoués en tentant cette grande traversée. Toutefois, Gilles Bélanger, qui a écrit la musique de tous les morceaux, mène le bâtiment à bon port: les textes et la musique se marient en haute mer, pour le meilleur et pour le pire – mais surtout le meilleur, heureusement.</p>
<p>Facile à apprécier, le recueil musical permettra sans doute à plusieurs de découvrir – ou de redécouvrir – le poète. Si l’interprétation faite par Jim Corcoran de <em>Mon bel amour</em> ne surclasse pas l’effort de Chloé Sainte-Marie (on se souviendra de son propre album intitulé <em>Parle-moi</em>), le <em>Je marche à toi</em> de Yann Perreau, en ouverture de l’album, est un bijou de simplicité, bouleversant d’une émotion qui ne peut être que l’écho de l’authenticité. </p>
<p>Ne manque à ce travail que la rage et la révolte qui exsudent de l’œuvre de Miron, qui écrivait aussi souffrance et rébellion: «<em>un goût d’années d’humus aborde à mes lèvres/je suis malheureux plein ma carrure, je saccage/la rage que je suis, l’amertume que je suis/avec ce bœuf de douleurs qui souffle dans mes côtes</em>» (<em>La Braise et l’Humus</em>). Il y a des poèmes qui se crachent… On ne les a pas choisis. Sans doute pour préserver l’homogénéité de l’album. </p>
<p>En attendant, les yeux relevés vers le rayon des poètes près de toi, tu demandes sans attendre de réplique… Alors, Miron? De quoi aurais-tu voulu qu’on se souvienne? Comment aurais-tu voulu qu’on te chante? </p>
<p>Pour seule réponse, <em>Douze Hommes rapaillés</em> joue en boucle et à tue-tête dans le salon. Il faudra que tu te contentes d’une mironade mi-sure, mi-sucrée. </p>
<p>Vous voulez goûter?<br /></p>