<p>J’ai un vice. J’aime laisser des traces. Comme un scout laisse sur son chemin des symboles de flèches en bois ou en pierres pour ne pas se perdre. Toujours prêt. Où que je passe, je laisse ma trace.</p>
<p>Est-ce pour cette raison que je sens le besoin d’écrire? Ce n’est certainement pas ce qui me pousse à rédiger des articles dans un hebdomadaire culturel. Des textes qui disparaissent rapidement, justement sans laisser de trace, sinon virtuelle. Qui ont leur utilité dans le présent mais qui se replient avec l’actualité, qui fuient à l’aune du temps. </p>
<p>Toutefois, peut-être, cette envie d’écrire des bouquins. Il ne s’agit ni de révolutionner la littérature ni d’être le maître d’œuvre d’un livre-culte. En fait, il est de plus en plus illusoire de croire que son œuvre sera le chaînon manquant de l’histoire littéraire. Tout au plus une petite maille dans ce grand tricot qui de toute façon tient au chaud.</p>
<p>C’est ce que l’on comprend des plus <a class="" href="http://www.banq.qc.ca/documents/a_propos_banq/nos_publications/nos_publications_a_z/Stats_2007.pdf" target="_blank">récentes statistiques de Bibliothèque et Archives nationales du Québec</a>, qui reçoit chaque année en dépôt légal des exemplaires de tous les livres publiés dans la province. En un peu moins de 20 ans, le nombre de nouveaux titres au Québec est passé de 2757 (en 1989) à 8375 (en 2007) – c’est trois fois plus, même si 2007 était une petite année en comparaison des deux précédentes (alors que le nombre de nouveautés avoisinait les 9750). </p>
<p>Au même moment, le tirage moyen de chaque livre a évolué nettement à la baisse. En 1989, on imprimait en moyenne 3049 exemplaires par titre. En 2007, ce nombre avait chuté à 2442. </p>
<p>La tendance est claire. Plus de titres. Moins d’exemplaires. Quand on pense que les revenus des auteurs sont calculés en pourcentage des ventes, en moyenne seulement 10 %, on est en droit de se demander quand s’arrêtera l’hémorragie. </p>
<p>Et ce n’est pas tout. Alors qu’il faut plusieurs mois, voire plusieurs années pour écrire un livre, sa durée de vie moyenne sur les rayons des librairies – en excluant bien sûr les best-sellers – est particulièrement déconcertante. Au bout d’un mois, on évalue que 42 % du nombre total des ventes pour le livre auront été faites. Et après six mois, le titre aura trouvé 85 % du total de ses lecteurs-acheteurs. </p>
<p>Tout ça pour ça, se diront sans doute quelques auteurs. Comme quoi ce n’est plus un cliché de dire qu’il est préférable d’écrire pour se faire plaisir à soi-même. </p>
<p>Pourquoi tant de livres? Plusieurs petites maisons d’édition réussissent à tirer leur épingle du jeu grâce à une plus grande disponibilité des moyens de production – certains parleront de démocratisation –, rendus plus accessibles grâce à l’évolution de la technologie. La présence des petits joueurs se fait de plus en plus sentir. </p>
<p>Et c’est aussi une question de subventions, paraît-il, qui tiennent compte du nombre de parutions annuel. </p>
<p>Pourquoi des tirages aussi minces? Parce que chaque livre se bat pour investir un territoire déjà occupé non seulement par d’autres livres, mais aussi par tout l’éventail des divertissements qui se disputent notre attention. Et si un nouveau gouvernement libéral annulait la TVQ sur tous les produits culturels québécois, ce dont jouit déjà le livre, la compétition serait encore plus féroce. Et c’est aussi dû à une gestion plus serrée des stocks.</p>
<p>Alors pourquoi écrire aujourd’hui? J’ai ma petite idée là-dessus. </p>
<p><strong>Des vers dans ma demeure</strong> </p>
<p>Il y a un an et demi, je devenais propriétaire d’une coquette maisonnette. Construite en 1942, elle a depuis subi plusieurs modifications importantes. Les propriétaires qui s’y sont relayés ont laissé entre ses murs les traces de leur passage. Elle porte les stigmates de leurs abus, de leurs erreurs… De leur bonne volonté, parfois, voire de leur talent. </p>
<p>Récemment, sous un vieux plancher flottant, j’ai trouvé… </p>
<p>Un superbe bois franc datant de l’origine de la maison, fignolé par un artisan, un véritable trésor ne nécessitant pas même un léger coup de papier de verre. Allez savoir comment on a pu prendre la décision de le cacher. Ici et là, quelques éraflures, bien sûr. Du vécu. </p>
<p>Pour moi, la littérature est comme cette vieille maison qui a une histoire. On a envie de l’habiter, de la découvrir, de chercher ses trésors, quitte à mettre au jour ses travers. On est parfois déçu, puis on retombe sous le charme. </p>
<p>Comme la littérature, cette vieille maison, elle était là bien avant qu’on se l’approprie. Et quand on en prend enfin possession, quand on lui met sa couleur, on laisse sa trace, on marque, on fait évoluer. Que ce soit par de grands travaux, ou par ces petites réalisations imperceptibles. On fait toujours partie de son histoire.</p>
<p>Pour celui qui écrit, c’est ainsi. La littérature est là depuis fort longtemps. Et elle lui survivra. Et même si son effort est voué à se perdre sur la longue ligne de son temps, parmi la multiplicité des œuvres qui la ponctuent… il y aura contribué à sa mesure. Un peu de lui en fera partie.</p>
<p>Je vous avoue ce secret. J’ai ce petit vice. Je cache dans ma maison des vers et des poèmes. Derrière ce mur. Sous cette structure. Sous le plancher. </p>
<p>Il restera toujours un peu de mon vice, caché dans cette propriété.</p>
Vice caché
Jean-François Caron