Complètement Martel

La souveraineté prend l’bord

<p>La lande est désertée, les ruines fument… Les fédéralistes ont pris d’assaut les palissades! La forteresse est en train de passer en leurs mains!</p>
<p>Ce que ça me fait rire. </p>
<p>Le 23 novembre, <em>Le Quotidien</em> publiait un sondage Segma qui tâtait le pouls de l’option souverainiste dans la région. Alors que nous sommes souvent considérés comme le dernier bastion de la souveraineté au Québec, château fort nationaliste réputé imprenable, voilà que les citoyens en parlent du bout des lèvres: 51 % des répondants de Chicoutimi auraient voté contre la souveraineté, 52 % à Jonquière et Roberval, 54 % dans Dubuc (dixit ledit quotidien). </p>
<p>Ouch. Méchant clou dans le cercueil d’un PQ enterré vivant. </p>
<p>Ça fait 13 ans qu’on parle de moins en moins de souveraineté. Quand le PQ a vu que le Bloc québécois arrivait à d’aussi bons en reléguant le projet d’indépendance aux oubliettes, son organisation stratégique avait un chemin tout tracé, quitte à s’éloigner du fief du Saguenay–Lac-Saint-Jean. Mais quand on s’éloigne de la souveraineté, il ne faut pas se surprendre qu’elle se perde à l’horizon. </p>
<p>N’empêche qu’il y a quelque chose de malsain dans les résultats de ce genre d’enquête. C’est que devant les psaumes de la sacro-sainte statistique, on imagine des combats là où il n’y en a pas. </p>
<p>Il n’y a pas, dans notre région, «les fédéralistes» et «les souverainistes». À part une poignée de militants de chaque bord, et encore, les gens d’ici, c’est du vrai monde, qui se lève le matin, travaille, et finit par se coucher sur une journée épuisante en attendant qu’un nouveau jour revienne se tasser dans le calendrier de sa petite vie. </p>
<p>Il n’y a pas de combat sanguinolent. Pas de guerres intestines, sauvages et destructrices. Pas de remparts ni de bastion. Personne pour cracher au visage de son voisin. On est juste tous ensemble dans une réalité à peu près semblable. </p>
<p>Et surtout, ce n’est pas parce que la région a voté dans une très forte proportion en faveur de la souveraineté lors du dernier référendum que nécessairement les gens sont plus engagés pour la cause nationaliste. Absolument rien à voir. Demandez à un militant, il vous le dira. François Parenteau, Zapartiste et chroniqueur pour <em>Voir</em>, m’en glissait un mot il y a quelques jours. La situation n’a rien de romantique: le monde s’en fout. </p>
<p>Les analystes ont trop tendance à penser que tout le monde se passionne pour la politique et ne vit que pour ça. La vérité, c’est qu’en général, on ne veut rien savoir. À preuve, la grogne qui s’est fait entendre lors du déclenchement des présentes élections.</p>
<p><strong>LES TRIPES DE L’INDÉPENDANCE</strong></p>
<p>L’adhésion à l’idée de la souveraineté politique du Québec n’a jamais été plus réfléchie ici qu’ailleurs. Elle a toujours été un acte de foi, un instinct, une émotion. Elle a juste été partagée par plus de personnes en même temps dans notre région, en 1995. </p>
<p>Mais ce qui émeut un jour n’émeut pas toujours. Un type peut bien avoir déjà rêvé de changer le monde, ça ne signifie pas que dans sa vie quotidienne il prendra les moyens pour y arriver. </p>
<p>Il va acheter son café moins cher même s’il n’est pas équitable. Garrocher une poignée de feuilles dans un bac de récupération qu’il mettra au bord du chemin s’il a le temps, ou s’il y pense. Taponner avant de faire réparer la toilette qui coule parce que de toute façon elle ne fait pas tant de bruit que ça. Et acheter trois ou quatre bidules cheap au Dollarama en se disant que lorsqu’il aura plus d’argent, il encouragera les commerces de la région. </p>
<p>Ici comme ailleurs, quand on vote, c’est avec les tripes. Mais quand on répond à un sondage, on essaie de penser à ce qu’on va dire. </p>
<p>Qu’est-ce qu’il dit, encore… Oui, c’est vrai, on a plus de temps pour réfléchir avant de voter. Oui, c’est aussi vrai, il est peut-être difficile de penser avant de répondre à un questionnaire téléphonique, souvent importun, qui brise le flux constant de la routine. </p>
<p>Mais il y a une différence primordiale entre l’élection (ou le référendum) et le sondage. On vote de façon anonyme. Mais il y a toujours quelqu’un au bout du fil, fût-il un piètre communicateur, s’enfargeant dans les moindres écarts de la langue française. Quelqu’un qui écoute, qui pense – et qui juge.</p>
<p>En tant que chroniqueur, j’ai assez reçu de lettres anonymes pour vous dire qu’on s’en permet plus si on n’a pas à signer son nom.</p>
<p><strong>L’ESSENCE DE LA SOUVERAINETÉ</strong></p>
<p>Alors comme ça la souveraineté prendrait le bord dans la région la plus bleue du Québec? Bah, on en reparlera quand le PQ reviendra à l’essence même de ce qu’il est. </p>
<p>L’essence est un produit inflammable. Mais si personne n’a d’allumette, inutile de craindre l’explosion. Elle s’évapore.</p>
<p>«Il y a quelqu’un qui a du feu?» </p>
<p>Pas moi. Ça fait longtemps que je ne fume plus.</p>