Complètement Martel

Le régime de l’information

<p>Commencer l’année le cœur serré, comme plusieurs autres. Partager ce pincement. Quelques histoires d’étreintes à vous raconter, des histoires d’amour et de haine que vous connaissez peut-être.</p>
<p>J’ai terminé l’année 2008 de la meilleure façon qui soit. La belle-famille s’excitait bruyamment au sous-sol, chacun attendant le fatidique décompte pour se garrocher dans les bras de l’autre. Un étage plus haut, j’avais pris congé de leurs joyeuses embrassades pour profiter de l’un de ces moments dont on ne parle pas souvent.</p>
<p>J’étais avachi sur le divan, avec mon plus jeune comme une bouillotte contre le torse, les prunelles entrouvertes sur une télé laissée allumée par un convive (mais presque muette parce que de toute façon étouffée par les excès expressifs des fêtards). Je fermais les paupières sur un Gros Cave faussement atrabilaire qui se bêchait une tranchée d’où il se débat depuis. J’ai tout de même parfois écarquillé les yeux, entre autres en voyant sœur Angèle s’époumoner avec une chanson d’AC/DC. Beaucoup plus convaincante que le pape. Le reste se perd plus ou moins dans l’ambiance tout intime d’une douce étreinte, alors que je profitais du poids rassurant de ma descendance épuisée, contre le creux de mon épaule.</p>
<p>En fait, j’avoue qu’ on m’aurait présenté à l’écran n’importe quelle ânerie – un vieux film de Pierre Richard, une entrevue philosophique avec Jean-Claude Van Damme ou un documentaire sur l’histoire de la roue de bicycle – que ça n’aurait rien changé à mon bonheur. J’avais cette petite chose comme neuve, en santé, contre le cœur. Et je savais le plus vieux en train de s’amuser des folies de ses aînés. </p>
<p>2009 serait une belle année.</p>
<p>J’ai décroché pendant le temps des Fêtes. Pas d’excès, sinon d’état de veille – on dirait bien que plus j’ai de temps pour moi, moins j’ai l’impression d’en avoir devant, alors dans tous les cas je dors peu… J’ai aussi fait du ménage dans ma vie, dans ma tête et dans mon bureau. Je suis heureux. Fatigué, mais heureux. C’est toujours bien ça de gagné.</p>
<p>Pendant les Fêtes, je me suis astreint à un régime particulier. Pas question de me priver de tourtière ni de quelque autre plaisir de la table, j’aime beaucoup trop faire bonne chère, surtout en agréable compagnie. Ce que je me suis refusé, c’est plutôt banal – c’est d’écouter les nouvelles: grève de l’information. Pas de bulletin télévisé, ni de radio – comme je déteste la musique de Noël, éteindre le récepteur n’est jamais bien difficile à cette époque de l’année. Je n’ai guère plus ouvert de journaux, sinon les vieux qui traînaient dans mon bureau pour les faire passer à la déchiqueteuse. Dans mon cas, c’était un jeûne nécessaire.</p>
<p>Maintenant que le temps des Fêtes est terminé, j’ouvre enfin les yeux, en même temps que j’allume la télé. À ce moment, c’est le plus vieux qui se presse contre moi, un livre à la main. C’est un peu effrayant, je crois qu’il lit déjà autant que son père. </p>
<p>Zap. Obama s’assoira enfin sur la chaise du président le 20 janvier prochain; tu parles d’un bon moment. C’est le bordel en Palestine. RDI montre en boucle des feux d’artifice que je ne voudrais pas voir de visu. Puis il y a les gens bousculés dans la rue. Les enfants effrayés que les mères voilées tiennent par le chignon du cou. Et les corps portés à bout de bras. Et celui porté par un père dont la barbe est imbibée de ces larmes et de cette morve qui ne jaillissent que de la pire des souffrances. </p>
<p>Fermer doucement les yeux de mon plus vieux qui se sont décrochés du livre qu’il tenait. L’empoigner dans une étreinte rassurante. Ne regarde pas. Ton père n’aime pas la guerre. Tu n’as pas besoin de voir ça.</p>
<p>Ça me rappelle ce jour de septembre, en 2001. Notre première journée entre gars, il n’avait pas encore deux semaines. Le biberon d’une main, lui dans le creux du coude, les tours qui tombent; j’ai pleuré devant la folie de l’homme en le serrant fort dans mes bras. </p>
<p>En voyant les raids éclabousser de sang les rues empoussiérées par la pierre maltée des murs de Gaza, j’ai envie de fondre à nouveau. </p>
<p>Spot suivant: des parents de Saguenay transforment leur désespoir en arme mortelle, décimant leur propre famille. Eh merde. Il y a de quoi replonger dans le plus serré des régimes. Toute vérité n’est pas bonne à savoir. J’attendrai que les enfants dorment. Off.</p>
<p>Il n’y a pas pire qu’un bulletin de nouvelles pour traumatiser des enfants. Parce que ce n’est pas de la fiction. Et ils le sentent.</p>
<p>Mon homme replonge dans son livre. On se serre un peu plus. Le monde est malade. Heureusement qu’on a les arts pour voir les choses autrement. Parce que sans l’art et la fiction, l’homme ne serait que barbare. </p>
<p>Non, 2009 ne nous épargnera pas. <br /></p>