<p>J’ai une maison face au nord. Le soleil n’y entre jamais qu’à l’horizontale, et encore seulement l’été. Alors pour les fleurs sur cette façade, il faut oublier. Il n’y pousse que quelques boutons sauvages, et des feuillages frêles entre les cèdres. </p>
<p>Moi, je n’ai plus rien de sauvage. Plus rien de ces indomptables coureurs des bois qui fuyaient les civilités pour se réfugier au bout du monde, quelque part au nord. Où l’eau de vie, les Amérindiennes, la distance, les forêts denses, les remous de rivières et le grondement sourd des chutes, tout n’existait que pour se perdre. </p>
<p>Dans une autre vie, alors que j’étudiais la géographie à l’université, un professeur avait passé presque tout un trimestre à argumenter pour me convaincre d’une thèse selon laquelle la plus grande différence identitaire entre le Canada anglais et le Québec serait notre rapport au Nord. S’appuyant sur des habitudes sociales profondément ancrées chez nous – entre autres ces Québécois qui se tournent depuis des décennies vers le Sud, les oranges et les plages de la Floride –, il arguait que l’Anglo-Canadien type serait plus attaché à l’Arctique, à ses franges de toundra, ses étendues glacées. </p>
<p>Quand on voit la réaction que provoquent les prises de position de Stephen Harper pour la souveraineté canadienne en territoire nordique, force est d’admettre qu’il avait peut-être raison.</p>
<p>Pourtant, c’est un argumentaire qui m’est passé dans la gorge comme une arête de doré. Parce que moi, le Nord, j’en voulais. Le coureur des bois doit crier encore quelque part dans ma mémoire. Dansant avec ces tourbillons de neige soulevés par le vent, ceux-là mêmes que Gilles Vigneault se figure comme des danseuses. Ces semblants de sirènes boréales, ces esprits hypnotiques qui intriguent et attirent vers les écueils du froid.</p>
<p>Il y a longtemps que les Québécois ont perdu le Nord. Je l’ai perdu aussi, j’imagine. Quelques corneilles me le rappellent, en voltige entre les lamelles du store. Le vent souffle ses remblais contre la porte, décoiffant les grandes épinettes d’en face. Alors je me souviens que je suis petit. </p>
<p>C’est aussi ça, regarder face au nord. Se sentir seul. Et petit.<br /> <br />AUTRE MAISON, MÊME HISTOIRE<br /> <br /><a href="http://www.voir.ca/blogs/popculture_saguenay/Maisonfaceaunord1.jpg"><img title="crédit: Jean-François Caron" style="WIDTH:293px;HEIGHT:173px;" height="192" alt="crédit: Jean-François Caron" hspace="10" src="http://www.voir.ca/blogs/popculture_saguenay/Maisonfaceaunord1.jpg" width="313" align="right" border="0" /></a>C’est cette troublante prise de conscience qu’impose la plus récente pièce présentée par La Rubrique (<em><a class="" href="http://www.voir.ca/publishing/article.aspx?zone=6§ion=8&article=62557" target="_blank">Une maison face au nord</a></em>, en coproduction avec le Théâtre français de Toronto et le Théâtre du Tandem). Avec une scénographie d’une sobriété rare – du moins pour ce à quoi nous a habitués La Rubrique –, on réussit à nous présenter de superbes tableaux évoquant ces œuvres de Jean Paul Lemieux, celles de silhouettes sur fond d’inaccessible horizon. </p>
<p>En fait, la production nous met en face de ce Québécois auquel on voudrait bien s’identifier. Celui qui ne fait pas semblant de tout aimer, qui ne ferme pas sa gueule, mais qui accepte l’autre, malgré ses différences, quitte à les avoir nommées d’abord. </p>
<p><a href="http://www.voir.ca/blogs/popculture_saguenay/Maisonfaceaunord2.jpg"><img style="WIDTH:378px;HEIGHT:232px;" height="218" hspace="10" src="http://www.voir.ca/blogs/popculture_saguenay/Maisonfaceaunord2.jpg" width="375" align="left" border="0" alt="" /></a>C’est celui aussi qui se remet mal de deux intolérables avortements référendaires. «<em>C’est pas facile de perdre, surtout quand on a toujours perdu</em>», dira Henri, ce père terre-à-terre et colérique incarné par Guy Mignault. Son personnage trouvera d’ailleurs particulièrement douloureux de voir inaccessible ce pays de bout du monde qui part en couille aussitôt qu’on l’espère: «<em>On l’aura pas. Ça va être la plus grosse peine de ma vie. Quand je pense à mon pays, je me sens faible…</em>» Combien comme lui? Poser la question, c’est un peu se faire mal.</p>
<p>Toute la politique québécoise des dernières années est là, dans ces quelques phrases. Et c’est sans contredit la force des grands textes de savoir ainsi faire écho au contexte social qui les a vus naître sans s’y enfermer. Le PQ apprendrait sans doute beaucoup, et comprendrait peut-être quelques récents échecs, si la pièce devait être diffusée à son prochain congrès national…</p>
<p><a href="http://www.voir.ca/blogs/popculture_saguenay/Maisonfaceaunord4.jpg"><img hspace="10" src="http://www.voir.ca/blogs/popculture_saguenay/Maisonfaceaunord4.jpg" align="right" border="0" alt="" /></a>Lors de mon passage à la salle Pierrette-Gaudreault, la réponse du public aura été particulièrement chaleureuse. Plusieurs se sont montrés troublés, émus par le jeu de Mignault et de Louisette Dussault. Heureusement, le quotidien entremêlé dans la déprime palpable du père, ainsi que les traits d’esprit de la mère (Dussault) désamorcent les tensions, rend la soirée moins déchirante.</p>
<p>Les gens d’ici se sont reconnus dans <em>Une maison face au nord</em>. Toutefois, les nombreuses références régionales passeront peut-être mal la rampe des autres théâtres où la pièce doit être jouée. L’effet sera-t-il aussi efficace devant un public qui ne sourira pas en entendant certains de nos régionalismes, ou en reconnaissant les travers de quelque média de chez nous? Il faudrait sans doute modifier de nombreuses références pour arriver au même résultat chez ces nouveaux auditoires. En même temps, ce serait triste de devoir le faire.</p>
<p>Mais au fond, l’essentiel se trouve ailleurs. Et si la pièce sera sans doute comprise autrement lorsque présentée à Toronto ou en Abitibi, elle n’en perdra pas pour autant sa pertinence.</p>
<p>Elle redonne le goût du Nord à ceux qui l’ont perdu. Et ce n’est pas rien.<br /></p>
<p><em>Crédit des photos: Jean-François Caron</em></p>
Ma maison face au nord
Jean-François Caron
Il y a plein de fleurs et plantes qui aiment pousser à l’ombre! (Vivaces : les fougères, les hostas; annuelles : les impatientes, les bégonias )
Alors ce n’est pas que le Nord. C’est un peu moi aussi. Je joue sans doute mieux des doigts sur le clavier que dans la terre noire de la plate-bande… Même si j’aime bien me salir à l’occasion.