Complètement Martel

Pierre Richard, la poutine et moi

<p>Dans la féerie d’un décor en mou-mousse et en papier mâché, parmi une brochette d’invitées grimées, beurrées épais (comme dans une pub télé de production régionale) pour la grande première, je me préparais mentalement à passer une longue soirée. Du type interminable.</p>
<p>Il faut dire qu’encore ce matin-là, je n’avais aucune envie d’aller assister à la première représentation du film <em><a class="" href="http://www.voir.ca/publishing/article.aspx?zone=6&section=7&article=56296" target="_blank">Le Bonheur de Pierre</a></em>. Mais un drôle de concours de circonstances, incarné par mon amoureuse et son sourire ravageur, m’y aura mené un peu malgré moi. C’est toujours un peu plus facile d’accepter son triste sort quand on est bien accompagné.</p>
<p>Dans la salle, juste avant la projection, une étrange faune rassemblée. Un chapeau de poil ici. Même une «froc carreautée». Je le jure. Et le Tout-Sainte-Rose-du-Nord était là, attendant de voir ce qu’on aura fait de son coin de pays. Les uns déjà vendus n’attendaient que de voir leur propre maison sur écran géant. Les autres n’avaient pas encore vu le long métrage que déjà ils se plaignaient de la façon dont on les y représenterait. </p>
<p>Après les discours protocolaires, quelqu’un dans la salle s’est levé pour se faire entendre: «Pourquoi on veut pas répondre à nos questions? Je veux pas voir d’images, j’ai des questions à poser. Je veux savoir pourquoi ils nous montrent de même.» La pauvre animatrice de Rock Détente qui présidait l’événement, le doigt sur ladite détente, ne savait plus trop où viser. </p>
<p>Ben oui, on parle en gigons dans ce film-là. On n’y est pas allé de main morte avec des expressions qu’on n’entend guère que dans la région. Mais à part pour le personnage de Louise Portal, qui y va pas mal fort, et peut-être celui de Gaston Lepage, qui est meilleur dans sa narration du petit train du Zoo de Saint-Félicien, il n’y avait rien là d’aussi grave qu’on semblait le croire. Certainement pas pire que plusieurs films ayant ponctué l’histoire du Québec – je pense spontanément à <em>Les Bons Débarras</em> (Réjean Ducharme), qui ne lésinait pas sur le franc-parler de ses personnages, et ça fait un bail… Si le joual a eu ses heures de gloire, alors pourquoi pas «le saguenéen»? – quoique cette façon de nommer la langue de chez nous soit particulièrement discutable. </p>
<p>Pourquoi un tel sentiment de trahison était-il ressenti par ce villageois mécontent? C’est dû à l’attitude des quelques élus et des médias du Saguenay qui ont tant voulu nous faire croire que le film serait une carte d’invitation à visiter la région. On oubliait de dire qu’on misait exclusivement sur le fait qu’on y verrait le fjord, une poignée d’épinettes, des cabanes à pêche ou quelques arpents de neige. </p>
<p>C’était prévisible: des gens ont fini par croire que le film parlerait d’eux. Alors quand ils ont vu ce qui se profilait (avec le <a class="" href="http://www.voir.ca/blogs/popculture_saguenay/archive/2009/02/17/apprendre-le-quot-saguen-233-en-quot-avec-louise-portal.aspx" target="_blank">cours de saguenéen 101 disponible sur le Web</a>, sans doute), ils se sont demandé pourquoi on avait fait d’eux des colons consanguins sans culture. </p>
<p>En fait, dès les prémices de la production du film, on les a floués en leur servant des arguments fallacieux – ce que le scénariste, Guy Bonnier, a réitéré juste avant la projection: «On veut mettre la région en valeur!» Mettre la région en valeur. Oui, bon… Mais quelle valeur? </p>
<p>Au bout du compte, on ne montre pas des habitants de Sainte-Rose-du-Nord, et on ne présente pas le Saguenay. On dévoile un bled inexistant qu’on a appelé Sainte-Simone, baigné par une atmosphère malsaine de Hérouxville. D’ailleurs, le personnage de Jean-Nicolas Verreault (Mario) ne pourrait être plus clair que si on le sous-titrait en caractères gras et qu’on surlignait ce passage: «Sainte-Simone, c’est pas l’Québec. C’est un village un peu spécial…» </p>
<p>De toute façon, alors que la bande-annonce aurait pu faire passer tout le village pour une bande de cons, en visionnant le film, on se rend rapidement à l’évidence que seul le maire est véritablement véreux, tenant tous les autres sous son joug… Ceux qui ne le comprennent pas méritent peut-être de passer pour des gigons.</p>
<p>Au-delà de ces considérations d’ordre langagier, pas grand-chose à dire du film, qui est somme toute plutôt ordinaire. On a rigolé, bien sûr. On a même eu droit à une belle image, celle des yeux bleus et des cheveux blancs du célèbre comédien dans notre hiver québécois. Et j’avoue que Sylvie Testud arrive à être plutôt sexy malgré le caractère exécrable de son personnage. Donne le goût de repeindre la maison, tiens. Mais je me demande tout de même si des Parisiens s’insurgeront contre l’image de caractériels à laquelle ils pourraient être associés…</p>
<p>En fait, c’est une comédie à la Pierre Richard. Sans profondeur, et avec une morale grosse de même. Quelques erreurs inexcusables – on voit même apparaître la perche d’un preneur de son dans les premières scènes du film… Et que dire de ces boules de neige immenses que Pierre réussit à faire en plein blizzard, par un froid sibérien… Je me trompe peut-être, mais la neige, ça ne colle pas fort à -30 degrés Celsius sous la poudreuse. </p>
<p><a href="http://www.voir.ca/blogs/popculture_saguenay/poutine.bmp"><img style="WIDTH:265px;HEIGHT:197px;" height="197" hspace="5" src="http://www.voir.ca/blogs/popculture_saguenay/poutine.bmp" width="265" align="right" border="0" alt="" /></a>Cela dit, sur fond de physique quantique et de philosophie de premier niveau, je retiens une chose importante. Je sais maintenant que la poutine, Pierre Richard et moi ne faisons qu’un. </p>
<p>«Tu veux savoir kossé qu’a t’dit, la poutine?» </p>
<p>Je ne sais plus. Mais elle était bonne en baptême après le film, la poutine.<br /></p>