<p>Les automobiles voleront un jour. Et on pourra se téléporter. J’y croyais. Pourquoi pas? Pour moi, il ne s’agissait pas de savoir si tous ces fantasmes se réaliseraient, mais plutôt quand la technologie le permettrait.</p>
<p>J’étais un enfant junkie de la techno. J’espérais secrètement gagner un jour un million de dollars pour pouvoir me payer des jeux virtuels, et je rêvais de vaisseaux spatiaux avec des pitons partout, que j’inventais en Legos ou que je croquais sur du papier quadrillé. J’étais prêt à suivre tous les détours du progrès. </p>
<p>Bien sûr, ma voiture ne quitte (presque) jamais le sol. Je ne suis toujours pas millionnaire, mais j’ai quand même pu me payer une Wii, ce qui n’est pas si loin des jeux virtuels que je convoitais. Et on ne peut pas voyager comme le capitaine Kirk. Admettons toutefois qu’on n’est pas loin de le faire avec le Web, qui nous offre ce qui se rapproche le plus d’une expérience de l’ubiquité – est-ce que je suis en train de dire qu’Internet fait de nous des dieux?</p>
<p>Tout ça pour dire que je me suis un peu leurré, pas toujours trompé, mais qu’il y a une chose que je n’avais pas vue venir: le livre électronique. </p>
<p>Il n’y avait rien de plus beau pour moi que ces objets que j’accumulais sur la tablette, voire sous l’oreiller. Il faut dire que le moniteur monochrome de l’ordinateur familial n’avait alors rien de particulièrement excitant. Sinon qu’il me permettait d’écrire, et d’imprimer… Ce qui me rapprochait du livre. </p>
<p>Oui, j’étais un techno freak. Mais le livre pour moi était sacré.<br /> <br /><strong>VIVE LE LIVREL<br /></strong> <br />On n’en entend pas encore beaucoup parler. Parce que présentement, seul le Cybook est offert chez nous. Mais Sony travaille actuellement à l’élaboration d’un système d’exploitation en français, ce qui permettra bientôt la commercialisation de son <em>Reader</em> au Québec. Ça ne devrait pas être trop long avant que le livre électronique (livrel) se taille une place dans l’industrie.</p>
<p><a href="http://www.voir.ca/blogs/popculture_saguenay/CybookGavalda.jpg"><img title="Le Cybook, de Bookeen" alt="Le Cybook, de Bookeen" src="http://www.voir.ca/blogs/popculture_saguenay/CybookGavalda.jpg" align="left" border="0" /></a>Actuellement, les arguments pour convaincre de passer à l’électronique me semblent mal choisis. On veut nous persuader qu’il est nécessaire de trimbaler avec soi toute sa bibliothèque, d’avoir accès en tout temps à plusieurs centaines d’œuvres littéraires, de pouvoir commander et recevoir en quelques secondes le plus récent Stephen King (ou whatever). Mais ce réflexe de la rapidité et de l’à-tout-prix me semble loin du loisir de la lecture. Lire, c’est prendre le temps. Et pour ce qui est de l’accessibilité, je ne sais pas pour vous, mais j’ai tendance, sauf exception, à lire un livre à la fois.</p>
<p>Pour l’instant, on se restreint à reproduire en format numérique des textes déjà existants. L’Association nationale des éditeurs de livres (ANEL) annonçait d’ailleurs, le 25 février, l’ouverture prochaine d’un entrepôt numérique rendant disponibles les œuvres d’auteurs francophones du Québec et du Canada. Google Recherche de livres rassemble déjà 7 millions de documents numérisés. Les initiatives de la sorte se multiplient. D’ici quelques années, à la vitesse où vont les choses, on pourrait bien avoir accès à peu près à n’importe quoi.</p>
<p><strong>PAS DE TRÉPAS</strong><br /> <br />Je suis persuadé que le livrel ne tuera pas le livre traditionnel. Mais on pourrait bien voir apparaître une nouvelle branche à la littérature. Suivez-moi.</p>
<p>Quelle est la caractéristique inaliénable de tout livre? Il est linéaire, c’est-à-dire qu’il commence au début, et se termine à la fin. Pas d’autre chemin possible. À moins d’être un acrobate de la lecture un peu fêlé qui s’amuse à inverser les chapitres ou à glaner une page ici et là, il faut se résigner à cela. </p>
<p>Et ceux qui se permettent de mettre le nez dans les dernières pages pour connaître la fin de l’histoire? Oui, bon. N’empêche que même ceux-là doivent revenir au premier mot, et s'enfiler toutes les phrases dans le bon ordre pour véritablement apprécier l’œuvre de l’auteur.</p>
<p>Ce que permettra le livrel, c’est de donner une nouvelle dimension à la lecture. D’abord parce qu’il permettra l’intromission de séquences filmiques, d’animations, d’effets sonores ou de musique. Pour les uns, il s’agit d’un sacrilège, parce que ça incitera à la paresse. Pour les autres, c’est une intéressante ouverture sur une lecture multisensorielle. Pour moi, ce n’est que gadget.</p>
<p>Là où le livrel changera vraiment la littérature, c’est qu’il la délivrera de sa linéarité. La formule en arborescence, que permettent les hyperliens, ouvrira la voie à une création littéraire nouvelle. C’est une tension vers ce qu’on appelle aujourd’hui les «œuvres Web», des sites Internet qui tiennent de l’art interactif. Ils flirtent avec l’hypertextualité immédiate, usent du surgissement de l’image, troublent les repères, et imposent au lecteur une liberté à laquelle il n’est pas habitué. </p>
<p>De la même façon, le livrel donnera un pouvoir sur l’œuvre, fera expérimenter un semblant d’infini. </p>
<p>En clair, je continuerai de vouer un culte proche du fétichisme au livre traditionnel. Mais cette possible refonte du littéraire, ça me donne envie.<br /></p>
<p> </p>
<p>AJOUT, JEUDI 26 FÉVRIER</p>
<p>Exemples d’œuvre web :<br />1. <a class="" href="http://www.isabellebernier.ca/verano" target="_blank"><em>Verano</em></a>, Isabelle Bernier. Toutefois, cette œuvre demeure très linéaire, ce qui est certainement décevant. <br /></p>
<p>2. <em><a class="" href="http://www.superbad.com/" target="_blank">Superbad</a></em> (je n’ai malheureusement pas le crédit de cette œuvre). Passée la première page, elle laisse peu de place au texte (donc encore loin d’une littérature en arborescence). Il faut dire que l’œuvre web est actuellement contrôlée par des artistes « visuels ». Mais on y détecte cette non-linéarité dont je vous parlais dans ma chronique.<br /> </p>
<p>3. <em><a class="" href="http://hospital.apoka.com/" target="_blank">The Hospital, stay a while, stay forever</a></em>, Edouard Artus. Encore une fois, et pour les mêmes raisons, peu de place au texte, mais une organisation en arborescence, moins chaotique que dans Superbad, mais tout de même perceptible.<br /></p>
<p>4. <em><a class="" href="http://www.voir.ca/community/controlpanel/blogs/www.agencetopo.qc.ca/contacts/bonheur" target="_blank">Bonheur à la carte</a></em>, Marie-Josée Hardy. Je ne commenterai pas cette œuvre puisque j’y ai participé en tant qu'auteur, mais le texte déjà y est un peu plus présent, quoique toujours subordonné au visuel. On remarquera que les hyperliens surgissent parfois justement parmi les mots. C’est encore loin de ce que pourrait offrir les avancées permises par le livrel, mais c'est déjà un aperçu.<br /></p>
<p>5. Une multitude d’autres œuvres <a class="" href="http://fr.dir.yahoo.com/art_et_culture/arts_plastiques/assistes_par_ordinateur/art_web/" target="_blank">ici</a>. Amusez-vous.<br /><br /></p>
L’avenir du livre
Jean-François Caron
J’avoue humblement ne pas toujours acheter un livre que pour le contenu potentiellement extra à lequel il peut me donner accès. Je suis une gourmande et j’ai besoin que tous mes sens m’amènent à la découverte et au risque. Alors j’avoue avoir déjà acheté un livre pour sa forme et même son odeur. Toucher le papier ciré ou ce qui semble fait main, être séduite par un format coffret ou par un livre objet ou qui fait sentir la texture, m’a amené à faire des achats parfois pas toujours heureux. J’ai été déçue quelques fois après la lecture d’un objet convoité, mais tout de même contente d’avoir un bel objet à voir, sentir et tenir entre mes mains.
J’ai besoin de toucher et le livrel dans ce sens, ne me séduit pas beaucoup et je suis loin d’être contre l’évolution, s’il en est une dans ce cas.
J’ai de vieux véniles 33 tours et 45 tours. Je me dis maintenant que j’ai le droit d’aller à la biblio, d’emprunter les CD correspondant à mes véniles et de les copier, étant donné que j’en ai fait l’achat jadis. Mais même si j’ai fait l’exercice pour certains des véniles de ma collection, j’ai de la misère calvaire, à me débarrasser de mes foutus vieux véniles. J’aime voir et prendre ces grandes pochettes, avant même d’écouter le disque. J’aime voir les traces laissées par le temps qui a fait sa marque sur le vénile et entendre les bruits qu’ont provoqué les égratignures.
J’ai longtemps eu une bibliothèque chargé de différentes lectures, en me disant que mes jeunes prendraient un livre au passage et que de ce fait, j’encourageais la lecture, comme on encourage l’écoute de la musique avec une discothèque garnie ou que l’on encourage le fait de jouer d’un instrument, s’il y a en a dans la maison.
Avec le livrel, comment j’aurais pu encourager la lecture, surtout que je ne pouvais pas toujours savoir ce que mes jeunes consommaient sur Internet, à part des liens que je leur communiquais pour diriger un peu leur parcours sur l’inforoute ?
J’admire le travail colosal que monsieur Jean-Marie Tremblay, enseignant en sociologie au cégep de Chicoutimi, fait pour rendre accessible sur le net, des multitudes de livres et de travaux au niveau des sciences sociales. J’apprécie avoir accès à différentes lectures sur Internet, mais ça ne remplacera pas dans mon cas, le plaisir de prendre un livre dans mes mains, en effeuillant le monde d’un(e) auteur(e).
Le contact avec un écran est froid. Et même si nous pouvons imprimer sur du beau papier, ça n’égalera jamais le travail créatif d’une personne qui a pensé à un format de livre, avec un choix de papier et une mise en page qui n’est pas choisi au hasard non plus.
Et moi qui pensais ne jamais vieillir, me voilà à être nostalgique à la pensée que le livre dans sa forme physique, pourrait être remplacé par le livrel.
Vive les épicuriens du livre… Des jouissifs qui ont besoin de voir, de ressentir, mais aussi de toucher l’objet pour l’objet. Excusez là…
Carole Girard
En lisant votre article, je me remémorais ces « Livres dont vous êtes le héros » de notre enfance. Vous vous souvenez, ces histoires fantastiques où à la fin de chaque paragraphe un choix s’offrait au lecteur quant à la possible continuité du récit… Est-ce que le livrel annonce le retour de ce genre de « littérature »? Mon coeur d’enfant ose le croire, du moins ce serait, à mon avis, le genre d’histoires idéales pour ce médium, n’est-ce pas?
J’étais aussi un amateur de livres dont vous êtes le héros… Et rien qu’à penser que les dés, la satanée feuille d’aventure, la comptabilisation des écus, pourraient se faire automatiquement, je suis encore tout émoustillé. Imaginons maintenant que les combats de Loup Ardent soient représentés par des animations… Hmmmm… En effet. Et ajoutons des sons lugubres de fond de caverne, de coups d’épées… sans toutefois mettre de côté la trame lecturale de base.
Disons que ce serait parmi les plus ludiques applications d’une littérature en arborescence qui était déjà pressentie dans le livre dont vous êtes le héros… Même si elle était encore très rudimentaire… En effet, ce n’est pas parce qu’on mélange les chapitres que ce n’est plus linéaire. Il n’y avait que quelques véritables choix qui ponctuaient ces activités littéraires.
Je pense toutefois à des applications encore plus folles. Quand on a brisé les carcans de la poésie pour faire des vers blancs, on n’avait pas vu venir les possibilités de l’hyperlien dans l’apport de sens… Le sens de l’écriture ne serait alors plus seulement horizontal, mais aussi enflé vers la verticalité, puisque chaque mot pourrait, en plus de donner un sens à la phrase de base, apporter une extension de sens par un clic, ou en effleurant l’écran. À la rigueur, une seule phrase pourrait contenir un roman.
Une phrase qui nécessiterait, pour véritablement la lire, de prendre plusieurs heures…!!!
Je crois que je suis enthousiaste.
Je suis vraiment dépassée et d’une autre génération. Je l’ai en pleine face en lisant votre commentaire monsieur François Morin et en lisant aussi celui de monsieur Caron. Commentaire qui fait suite au vôtre. Ça semble si séduisant que le multimédia via Internet, puisse nous permettre ce parcours non linéaire, cette possibilité de sons, d’images animées, d’hyper liens etc.
Suis-je à ce point dépassée de ne pas vouloir d’interférences dans mon contact avec une histoire et un(e) auteur(e) ? Je veux encore imaginer les sons, les images, le parcours et les dénouements possibles, sans qu’ils ne soient déjà prévus dans le choix qui pourraient être proposés avec le livrel.
Je ne suis pas contre l’évolution, les formes nouvelles de communiquer et d’éditer, mais j’ai encore des croûtes à manger, à la seule pensée que le livrel pourrait éventuellement remplacer le livre.
Mais vos commentaires, monsieur Caron et monsieur Morin, m’amènent à requestionner mes positions. Le livrel… Pourquoi pas ?
Carole Girard
@ Madame Girard
J’ai moi-même certaines réserves quant à l’introduction de ces gadgets multimédias dans le livre – je précise d’ailleurs que le « livre dont vous êtes le héros » est une « activité lecturale », que c’est « ludique »; il s’agirait d’un rapprochement entre lecture et jeu électronique, tout simplement. Mais c’est encore loin de ce que je pressens comme possibilités sémantiques à l’hyperlien.
Aussi, comme je le mentionnais en fin de chronique, « je continuerai de vouer un culte proche du fétichisme au livre traditionnel ». Pour moi, il est impensable que le livrel signe la mort du livre. Il faudra toutefois que l’un et l’autre sachent trouver leur propre place, que les deux supports se montrent complémentaires plutôt que de simplement se copier.
Mais on n’en est pas encore là. Dormez sur vos deux oreilles, vous pourrez encore construire des remparts sur votre table de chevet avec les briques que vous lisez…
Quand je l’ai vu, je jure que j’ai entendu chanter des anges. Un projecteur s’est allumé soudainement