Complètement Martel

Les responsabilités de l’ange (décès de Stanley D’Haese)

<p>Elle est venue de loin pour leur parler. Elle est entrée dans leur demeure pour s’asseoir auprès d’eux, s’est immiscée dans leur quotidien pour les écouter, simplement. D’une écoute motivée par l’art, certes, mais imprégnée d’un respect rare. </p>
<p><strong>Eva Mayer</strong> est une artiste établie à Paris, originaire d’Autriche, qui profite actuellement du programme Résidences croisées Alsace, France/Lac-Saint-Jean, Québec. Installée depuis quelques semaines à Alma, où elle profite des installations et du réseau du centre d’artistes Langage Plus, Mayer, intéressée par un processus d’art relationnel, est allée à la rencontre de plusieurs personnes retraitées. Sur la base de ces rendez-vous individualisés, elle aura entre autres créé des œuvres photographiques influencées par la personnalité et l’histoire de ses modèles. </p>
<p><a href="http://www.voir.ca/blogs/popculture_saguenay/stan-portrait.jpg"><img title="Tous droits réservés à Eva Mayer." alt="Tous droits réservés à Eva Mayer." src="http://www.voir.ca/blogs/popculture_saguenay/stan-portrait.jpg" align="right" border="0" /></a>Parmi ceux qui ont bien voulu la laisser entrer dans le cercle de leur intimité, on comptait Stanley D’Haese. Depuis toujours dans «l’âge d’art», l’homme d’origine belge avait un parcours social exemplaire, en partie grâce à son implication dans le milieu de la culture du Saguenay–Lac-Saint-Jean. En plus d’avoir créé sculptures et vitraux, il a contribué en 1987 à la fondation de la Société d’art lyrique du Royaume, et a collaboré à de nombreuses productions de l’homme de théâtre Ghislain Bouchard. C’est sans doute cette tendance à s’investir sans compter qui l’aura poussé à participer, même en se sachant très malade, au projet d’Eva Mayer*.</p>
<p>Même si elle le connaissait depuis peu, la jeune artiste était consternée d’apprendre le décès de Stan D’Haese, le 4 mars dernier, à 73 ans. Bien sûr, elle avait été prévenue de sa santé chancelante. «Mais quand je l’ai rencontré, j’ai oublié totalement sa maladie. Il était tellement vif que j’ai pu ignorer tout ça.»</p>
<p>En l’écoutant parler de lui, j’étais fasciné par l’attachement qui l’avait liée à l’homme en si peu de temps, comme à d’autres participants à son projet. Quelque chose se produit lorsque des artistes créent des œuvres basées sur des démarches relationnelles. Lorsque la réponse de l’autre est bonne, il y a un tel investissement dans le rapport ténu qui lie l’artiste à son sujet que l’intensité des quelques moments passés ensemble peut changer le cours d’une vie.</p>
<p>Dans sa démarche, Mayer explore le concept de la disparition, détournant la photographie, réputée être une trace du réel, pour y introduire avec force nuances des parcelles d’imaginaire, plaçant chaque fois son modèle au centre de l’univers, comme si tout n’existait que pour lui. Ce regard touchant, qu’elle a porté entre autres sur Stan D’Haese, prend une tout autre dimension depuis le décès de ce dernier. Le triste événement faisait alors que l’idée même de la disparition avoisinait ses frontières les plus extrêmes.</p>
<p>Bouleversée, Eva Mayer admet que son expérience à Langage Plus lui aura imposé d’importantes prises de conscience. «Mes autres productions ne m’ont pas touchée autant. Certains des participants à mon projet me voient un peu comme un ange. Quelqu’un vient, les écoute. Dans certains cas, ça ne leur est peut-être pas arrivé depuis longtemps… Ils ne veulent pas croire que ça s’arrête.»</p>
<p>C’est là toute la délicatesse de l’art relationnel. L’artiste ne fait pas que gosser du bois, prendre quelques clichés, peinturlurer un paysage chatoyant sur une toile vierge… Il travaille un matériau humain, tient compte de l’autre, écoute ce qu’il a à dire plutôt que de lui plaquer une image dont il est loin. Une responsabilité importante lui incombe. «Ce n’est plus seulement un projet. C’est beaucoup plus délicat. On ne peut pas uniquement prendre. Il faut savoir donner aussi.» Une implication personnelle qui sonne comme une leçon d’humanité. D’ailleurs, il n’est peut-être pas fortuit que l’artiste se soit sentie si proche de Stan D’Haese, reconnu non seulement pour son travail artistique, mais aussi pour son implication sociale, dans le milieu sportif et auprès d’organismes comme Leucan. </p>
<p>Là où l’art s’intéresse véritablement aux gens, l’artiste risque gros. Parce que plus on s’approche de l’être humain, plus on s’expose à l’éventualité d’être troublé. Mais je ne peux m’empêcher de penser que s’ils étaient plus nombreux, les praticiens de l’art relationnel, nous vivrions peut-être dans un monde meilleur. </p>
<p>Elle est venue de loin pour leur parler, pour les écouter. Elle laissera sans aucun doute un peu d’elle sur ses traces, mais elle apportera aussi dans son bagage des parcelles de leur imaginaire, leurs histoires inédites, leur sourire ou leur chagrin, leurs tics et leurs refrains. Et à distance, ils partageront sans doute encore longtemps un cœur gros… et peut-être l’idée d’une aventure à finir.</p>
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<p><em>*Je tiens à remercier Eva Mayer et la famille du défunt pour nous avoir permis de publier ce portrait de Stanley D'Haese.</em></p>
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<div>Le vernissage de <em>Tous les jours sont des adieux</em>, d’Eva Mayer, aura lieu le 9 avril à Langage Plus.</div></li>
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<div>Le 4 avril prochain, la Société d’art lyrique du Royaume dédiera la représentation de son opérette <em>La Vie parisienne</em> à Stanley D’Haese.<br /></div></li></ul>