<p>C’était un vendredi de juillet en plein mois d’avril. Quand j’ai engagé ma voiture sur le pont Dubuc, ce soir-là, la rivière Saguenay donnait l’impression de s’abreuver sous un orage orange lointain, un paysage étrange comme ceux qu’on retrouve souvent plaqués en fond d’écran.</p>
<p>C’était presque un vendredi de juillet. Sauf qu’au milieu de l’été, on se lasse du soleil et de la chaleur, de la langueur du soir qui tarde. </p>
<p>En avril, on se souvient plutôt du froid mordant. Et on trimballe, malgré les 25 degrés Celsius ambiants, une veste pour étouffer les frissons qui menacent de ressurgir à tout moment, au passage d’un nuage qui prend son temps, ou en marchant sur le trottoir ombragé de la Saint-Do ou de la Racine. Et parce qu’on ne croit pas que ça va durer. Et on a raison de penser ainsi.</p>
<p>Alors ce vendredi-là, tout le monde voulait en profiter, c’est bien normal. On attendait depuis longtemps d’avoir un peu de chaleur, alors il aurait été inadmissible d’aller s’enfermer dans une salle sombre et climatisée pour terminer la soirée. N’est-ce pas.</p>
<p>Tout ça pour dire que nous n’étions pas nombreux à nous entasser au portillon de la salle de répétition du Centre culturel du Mont-Jacob pour assister à l’événement du festival Mots et Merveilles qui y était annoncé, une présentation de <a class="" href="http://apescn.blogspot.com/" target="_blank">l’Association professionnelle des écrivains de la Sagamie–Côte-Nord (APESCN)</a> et du Salon du livre du Saguenay–Lac-Saint-Jean. Il s’agissait d’une invitation à écouter ces auteurs dont on lit déjà les mots avec plaisir. </p>
<p>La force de l’événement résidait dans la diversité des propositions des écrivains. Entre l’ode à la mémoire d’<strong>Anne Tremblay</strong> et le réalisme révoltant de <strong>Pierre Demers</strong>, tout était possible. </p>
<p><strong>Marie-Christine Bernard</strong> (<em>Monsieur Julot</em>, <em>Mademoiselle Personne</em>), justement vêtue comme une princesse trash, nous a livré avec une verve plus que convaincante un texte habile, fouillant de la truffe les relents sombres et enivrants d’un érotisme assumé. Une jubilante envolée qui s’est partagée comme un frisson dans la salle. </p>
<p><a href="http://www.voir.ca/blogs/popculture_saguenay/SophieBouchard.JPG"><img title="Sophie Bouchard, crédit: Jean-François Caron" style="WIDTH:392px;HEIGHT:246px;" height="246" alt="Sophie Bouchard, crédit: Jean-François Caron" src="http://www.voir.ca/blogs/popculture_saguenay/SophieBouchard.JPG" width="392" align="right" border="0" /></a>La jeune <strong>Sophie Bouchard</strong> (<em>Cookie</em>), camouflant à merveille sa timidité, aura plutôt opté pour une simplicité efficace. Dans un texte usant de l’énumération pour faire la lumière sur le paradoxe de la consommation, elle a opposé la poussière de l’Afrique aux maisons proprettes de l’Occident. Une prestation qui aura été fort bien accueillie du public.</p>
<p>La plus grande surprise de la soirée aura sans doute eu lieu lors de la lecture d’<strong>Hervé Bouchard</strong> (<em>Mailloux</em>, <em>Parents et amis sont invités à y assister</em>). Celui qui nous a habitués à des dérives éclatantes, souvent franchement rigolardes, en donnant vie aux personnages de ses deux précédents romans, aura pris un ton qu’on ne lui connaissait pas. Sans renier son univers particulier, ni cet humour qui lui est propre – heureusement –, il a mis en scène une rencontre avec un vieillard malade et confus, portant un regard particulièrement touchant, sobre et quasi solennel sur la dignité, voire sur la condition humaine. J’avouerai simplement être un admirateur: c’est un coup de cœur chaque fois renouvelé qu’une lecture publique de cet auteur. </p>
<p><a href="http://www.voir.ca/blogs/popculture_saguenay/Hervé%20Bouchard.JPG"><img title="Hervé Bouchard, crédit Jean-François Caron" style="WIDTH:388px;HEIGHT:246px;" height="263" alt="Hervé Bouchard, crédit Jean-François Caron" hspace="9" src="http://www.voir.ca/blogs/popculture_saguenay/Hervé%20Bouchard.JPG" width="391" align="right" border="0" /></a>Surto<a href="http://www.voir.ca/blogs/popculture_saguenay/Hervé%20Bouchard.JPG"></a>ut, c’était une soirée fort bien habillée. Certainement pas grâce aux éclairages, qui auraient mérité un peu plus de soin – le rouge surréaliste baignant <strong>François Bernard Tremblay</strong> lors de sa performance était plus dérangeant que porteur de sens –, mais plutôt grâce à la musique de <strong>Pascal Beaulieu</strong>. </p>
<p>Même s’il préfère souvent s’effacer, Beaulieu est sans contredit un musicien hors pair – et reconnu comme tel dans le milieu, il suffit de le nommer pour que n’importe quel musicien de la région lui témoigne tout son respect. Ce n’est pas la première fois qu’il collabore à la mise en lecture de récits ou d’œuvres poétiques, et chaque fois il m’a semblé avoir une sensibilité pour la chose littéraire, captant l’émotion, s’alimentant à l’intonation du lecteur, si bien qu’il donne l’impression de jouer une partition qui collerait au texte.</p>
<p>Ne parlons pas d’exploit. Mais tout de même. Réussir à apprivoiser ces bêtes étranges et capricieuses que sont les auteurs, c’est déjà quelque chose. Beaulieu est un improvisateur né – ce qui s’est souvent vérifié au sein de la Ligue d’improvisation musicale du Saguenay –, et cette capacité qu’il a de parfaire une œuvre qui n’est pas de lui en l’agrémentant de quelques notes et d’ambiances sonores choisies, c’est un don rare.</p>
<p>Vous savez quoi? Je viens de relire cette chronique et je me rends compte que finalement, même si je n’ai pas profité du vent tiède qui soufflait encore lorsque je me suis engouffré dans le Centre culturel, je crois que j’ai fait le bon choix. </p>
<p>Parce que la chaleur reviendra nous harceler de plus en plus d’ici la fin de l’été. Mais ces auteurs qui ont participé au festival Mots et Merveilles ne sortent pas souvent les pages qui s’accumulent sur leur bureau pour les partager avec nous. </p>
<p>Maintenant je suis prêt. Que le soleil sorte enfin.<br /></p>
Un vendredi de juillet
Jean-François Caron