<p>Son portable sous le bras, il cherche un coin où s’asseoir. Pas trop au soleil, il a du travail et ne veut pas s’écorcher les yeux sur son écran. Pas trop à l’ombre, le vent est encore frais au bord de la rivière. </p>
<p>Perdu dans la vague des migrations d’employés venus prendre d’assaut les trottoirs de la Zone portuaire avant de retourner s’enfermer dans leur bureau, il cherche le bon endroit où s’installer. Sur son chemin, des étudiants, torse nu et barbe folle, font tour à tour siffler un frisbee. Un retraité, cheveux et regard délavés, assis sur un banc, les mains sur les genoux, a l’air d’un vieil écolier. Non loin de là, pendant que son bambin peine à rester assis sur la couverture soigneusement étendue au sol, une jeune mère lit le journal. </p>
<p>Comme chaque semaine, le chroniqueur se demande bien ce qu’il pourra écrire. En attendant, malgré l’urgence, comme chaque semaine, il lit. «<em>Notre grand tourment dans l’existence vient de ce que nous sommes éternellement seuls, et tous nos efforts, tous nos actes ne tendent qu’à fuir cette solitude.</em>» (Guy de Maupassant, <em>Solitude</em>). Certainement pas pour aider son cas.</p>
<p>Au cours des jours précédents, il a reçu un courriel de la part d’une lectrice. Pas trois lignes de dénigrement grammaticalement déficientes et sémantiquement incompréhensibles. Pas une jolie carte avec des roses et un soleil masqués par un merci sans autre explication (quoique ça, ça fait toujours plaisir, dire le contraire serait mentir).</p>
<p>C’était plutôt une longue lettre, écrite à trois mains pendant un souper entre amis, qui exprimait une déception de voir le peu de place qu’il accordait dans ses chroniques à la culture régionale. Étrangement, même s’il n’était pas d’accord avec tout son argumentaire, il s’était senti soulagé. Parce que chaque semaine, il avait beau scruter la région, il ne voyait que son reflet dans l’écran de son ordinateur. Si bien que lorsqu’il écrivait, c’était un peu de lui qui se dessinait derrière ses mots. Un peu trop peut-être. Beaucoup trop. Et ce n’était pas qu’une question de pronom. </p>
<p>En recevant le courriel de cette lectrice, il s’était simplement souvenu qu’il n’était pas seul. Soudainement, le journal pour lequel il écrivait ne se résumait plus à quelques feuillets reposant dans un présentoir à l’entrée d’une boutique ou d’un restaurant. Et le lectorat n’était plus un concept flou, une chimère instable et capricieuse, une comptabilité obscure. Il avait une voix. </p>
<p>Alors, assis dans l’herbe, échevelé d’air frais, il se dit que l’instant était bien choisi pour faire le point. Pour s’interroger quant à la signification de ce <em>Pop culture</em> qui coiffe sa chronique. Et il s’est rappelé ce qu’il sentait déjà au tout début de cette aventure. </p>
<p>Il ne s’agit pas de quelques centaines de mots à la solde de la gent artistique, voués à sa promotion, voire à sa défense. Pop culture est plutôt un attentat contre la solitude. Parfois un pétard mouillé. Parfois un feu d’artifice, qui en met plein la vue, mais qui reste inutile. Parfois une mine antipersonnelle. Parfois une déflagration qui fait plus de bruit que de dégâts. Souvent un tic tac sans détonateur. Mais elle veut d’abord et avant tout atteindre le plus grand nombre. Toucher.</p>
<p>Pop culture, bien sûr, c’est un peu un contrat qui lie le chroniqueur à la communauté des artistes. Un outil pour la soutenir, mais aussi pour la secouer un peu, à l’occasion, quand c’est nécessaire. Mais c’est encore surtout une amorce. Pour que survienne la discussion, voire la dispute. Parce que la culture régionale, c’est bien plus que la somme de toutes les productions, créations et événements qui ont lieu: c’est d’abord et avant tout la façon de s’approprier tout ça, la manière de vivre avec cet art et cette créativité au quotidien. </p>
<p>C’est social. Pas dans le sens où ça ne s’intéresse qu’aux plus démunis. Au sens rassembleur du terme.</p>
<p>En fait, <em>Pop culture</em>, ça le dit, c’est notre culture, mais c’est aussi un Pop. C’est pour que les artistes, côté culture, puissent rencontrer le vrai monde, côté Pop. Et que sur la même scène régionale, chacun incarne au mieux son rôle. Plus que jamais, le chroniqueur en ressent l’urgence: the show must go on. Et pour cela, mieux vaut se regarder dans les yeux, se parler. Et il aime croire, humblement, que ce qu’il écrit le permet.</p>
<p>Au pied d’un bosquet, le bambin vient de maladroitement s’effondrer sur le ventre. Sa mère laisse là sa lecture, aide son garçon à se rasseoir, lève les yeux vers le chroniqueur solitaire; elle lui offre son plus beau sourire et lui fait signe de la main. Comme si elle le connaissait depuis longtemps. Succulente coïncidence. Devinez quel journal elle lisait. </p>
<p>Que disait, donc, cette artiste rencontrée quelques jours plus tôt? «On n’est jamais seul.»<br /></p>
Solitude chronique
Jean-François Caron