<p>C’est vert et ça sort de partout. Pas parce qu’il fait soleil, ni parce qu’il fait plus chaud, ni parce que c’est la saison. Je ne parle pas de bourgeons, mais d’une nouvelle bourgeoisie. </p>
<p>C’est <strong>Christian Barré</strong>, un artiste qui m’accordait récemment une entrevue dans le cadre d’une chronique que j’écris pour la revue <em>Le Sabord</em> – on se souviendra peut-être de son exposition à la galerie L’Œuvre de l’Autre (<em>I Will Not Apologize</em>), en novembre dernier – qui m’a parlé de ce concept de «bourgeois verts». «Ils sont hyper écolos, m’expliquait-il, mais le monde qui crève à côté d’eux autres, ce n’est pas grave. On veut sauver une fleur, mais pas une personne qui est dans le trouble.» Pas loin de faire écho au «<em>J’aime mon pays, mon voisin je l’haïs</em>» de <strong>Richard Desjardins</strong>. </p>
<p>Pourtant, l’écologie, c’est d’abord global. C’est un discours sur la manière d’habiter le monde. Alors ça devrait commencer par la façon dont on agit entre nous, dans ce monde. </p>
<p>Je me souviens, c’était facile pour ma génération d’être écolo dans les années 80. L’environnement n’était pas encore global, il se résumait à la rue entre la maison et l’école, et il suffisait de ne pas jeter sa gomme par terre pour se sentir engagé vers un avenir plus vert. Bien sûr, à l’époque où j’écoutais <em>Le Club des 100 watts</em>, j’ai moi aussi milité pour la protection des bélugas. Et du haut de mes neuf ans, j’ai réclamé, sur un ton proche de la tragédie, un monde plus propre: «Il faut prendre soin de ma planète!» J’avais même imaginé créer un groupe de musique pour convaincre les masses. Comme quoi les Cowboys Fringants ont mis le doigt sur quelque chose. </p>
<p>On nous a dit que c’était facile, à l’époque. On s’est habitués à cette facilité. Pas surprenant que ma génération se soit transformée en une bourgeoisie verte. </p>
<p>Elle achète ses bananes biologiques, ma génération de bourgeois verts. Parce qu’elle se dit que c’est meilleur pour l’environnement. Mais elle se fout du nombre de kilomètres que le fruit a dû traverser entre les cultures de la République dominicaine et son assiette de pain aux bananes. </p>
<p>Et elle est devenue experte en recyclage, ma génération de bourgeois verts. Alors elle se frotte les mains de satisfaction en attendant son nouveau bac de récupération, dont la distribution sur le territoire de Saguenay est annoncée en grande pompe à la télévision – six fois plus de capacité! Wow!</p>
<p>C’est une bien bonne idée. Recyclons. Mais alors que les centres de tri du Québec débordent, alors qu’ils ne savent plus quoi faire de leurs «précieuses» cargaisons de matières résiduelles, alors que des tonnes de résidus de consommation propres à la récupération trouvent le chemin du dépotoir plutôt que celui du marché, n’y a-t-il pas là quelque chose d’absurde? D’ailleurs, entre vous et moi, qui a véritablement été surpris de la découverte de ces ballots de recyclage abandonnés sur un terrain privé de Chambord?</p>
<p>En fait, j’ai bien peur que la nouvelle économie écologique, le régime vert, loin de corriger la situation, contribue à sa dégradation. Parce que l’écologie est devenue un nouveau moteur pour la consommation. </p>
<p>Le monde veut des façons de prouver qu’il est écolo. On veut pouvoir se vanter de prendre du savon à vaisselle ou à lessive biodégradable. C’est rendu qu’on achète en gros parce qu’on se dit que ça fait moins d’emballage. Vas-y, mon homme. Consomme. C’est bon pour l’environnement, d’abord. On oublie que la seule action efficace se fait sur trois axes – la récupération, la réutilisation et la RÉDUCTION.</p>
<p>Tout se passe comme si notre taux d’implication écologique se mesurait à l’investissement. On agit comme si on était l’une de ces compagnies qu’on ne nommera pas. Ou peut-être que si, vous le ferez dans votre tête, ou alors pour vous amuser, vous répandrez leur nom parmi une tablée d’amis qui seront en train de se vanter de se soigner le fessier avec du pq recyclé qui ne fait pas de petits grumeaux… Comme si du papier de toilette issu de matière recyclée devenait soudainement intéressant. Allo!? Je n’ai pas envie de savoir ce que tu fais sur le bol, à moins peut-être que tu y lises Dostoïevski. Et encore.</p>
<p>Ces compagnies, donc, qui font de l’argent vert, qui asseyent leur publicité sur un piédestal bordé d’or vert. Venez chez nous, on est verts, consommez de notre produit vert. C’est bon pour l’environnement. </p>
<p>On vous donne tous les arguments possibles et imaginables pour que vous puissiez vous déculpabiliser de consommer. Vous voulez un gros char, voire un VUS? Pas grave, vous avez juste à dire que vous le prenez moins souvent. Que vous allez chercher votre pinte de lait à pied. Et que vous sortez en vélo. Comme si votre gros char, c’était pour le laisser dans la cour que vous l’aviez acheté.</p>
<p>Ce qui m’emmerde le plus, c’est de voir que la crise n’aura rien changé. À part une poignée d’Américains qui auront troqué quelques repas congelés pour de la nourriture fraîche, on continue de consommer autant. Sinon plus. </p>
<p>C’est pathétique. Comme ce type qui choisit de s’acheter un sac de chips sur lequel on a écrit «0 gras trans» et qui se l’enfile derrière la cravate d’une traite, rassuré de ne pas être en train de se planifier une crise cardiaque.</p>
<p>Aujourd’hui, j’ai pété une coche. Mais pas besoin de m’excuser. Comme c’était une coche verte, personne ne m’en voudra.</p>
<p>Ah, j’oubliais. Quand vous aurez fini de le lire, vous mettrez ce journal au recyclage. Ils lui trouveront bien une place.<br /></p>
La bourgeoisie verte
Jean-François Caron
Au début des années 80 alors que je travaillais dans la sensibiisation et à la connaissance du milieu naturel, j’agissais par conviction. Aujourd’hui, je suis presque contraint de récupérer par obligation légale. Heureusement mes convictions écologiques n’on pas changé, mais je déplore la commercialisation de la « récupération » et les intérêts financiers des grosses compagnies cotées en bourse, comme s’il n’y avait jamais d’autre alternative que le foutu « Think Big ».
Un des fameux exemples, les excursions aux baleines qui sont devenus une vrai cirque, une foire d’empoigne pour les touristes et un problème pour les écologistes, qui voient le cycle d’alimentation des mammifères perturbé. Comme quoi le développement touristique et économique par l’écologie, peut lui aussi laisser des traces….