Poussière sur le livre: état de la bibliothèque publique québécoise

La poussière retombe à peine sur le dossier de la rénovation de l’auditorium Dufour. Peut-être en parlerons-nous moins au cours des prochaines semaines, mais chacun continuera de tenter de faire avancer le dossier dans la direction souhaitée. Avec les uns qui se félicitent d’une victoire qui n’en est pas encore une. Et les autres qui continuent d’appeler au dialogue.
Au-delà de la prise de position, c’est surtout le côté démocratique de l’exercice qui a suscité de l’intérêt chez plusieurs observateurs. J’en suis. En même temps, je me suis surpris qu’un acte démocratique si simple devienne à ce point un événement. Il est vrai que la prise de parole n’est pas spontanée, chez le citoyen moyen. 
Peut-être qu’au fond le Québec n’est pas démocratique. Peut-être que les Québécois n’en ont rien à foutre d’avoir ou non leur propre destin entre les mains. 
Si ça se trouve, c’est peut-être pour ça que l’on s’élit des petits monarques – et je ne parle pas du Roi de l’Anse, qui aurait sans doute gagné mon vote, mais plutôt de ceux qu’on assoit sur un trône du haut duquel on les laisse organiser nos vies. 
Ils sont parfois élus par acclamation. Lors des dernières élections municipales, dans la grande région du Saguenay–Lac-Saint-Jean, c’est plus de la moitié des maires et mairesses qui ont été couronnés ainsi. Et on ne parle pas de tous ces autres maires qui ont le champ libre, n’ayant aucun opposant SÉRIEUX. Pourtant, la politique municipale est celle qui touche de plus près le vécu des citoyens. 
Moi, ça me fait réfléchir. 
Sur les rayons Ce détachement de la vie démocratique ne se fait pas sentir qu’au moment de passer aux urnes. Il suffit de jeter un œil du côté des bibliothèques publiques pour sentir le même désagréable frisson. Pour l’UNESCO, la bibliothèque publique est un instrument essentiel de la démocratie, donnant au citoyen «un accès libre et illimité à la connaissance, la pensée, la culture et l’information» (Manifeste de l’UNESCO sur la bibliothèque publique). Et qu’est-ce qu’on en fait au Québec, de notre bibliothèque publique?
Après une entrevue avec Marcel Lajeunesse, qui a été professeur pendant 36 ans à l’École de bibliothéconomie et des sciences de l’information (EBSI), celui-ci m’a donné un accès privilégié à un article qui sera publié un peu plus tard au cours de l’année dans le Bulletin des bibliothèques de France. Il y dresse un portrait particulièrement exhaustif de l’histoire de la bibliothèque publique au Québec, depuis la première (et unique) loi des bibliothèques publiques, jusqu’à la construction de la Grande Bibliothèque et à la création de Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ). 
Selon lui, au Québec et à Terre-Neuve, on constaterait la plus haute cote d’écoute télévisuelle au pays, et en contrepartie le plus bas taux de fréquentation des bibliothèques au pays. Et ce serait un retard presque traditionnel au Québec, puisqu’une commission d’enquête avait déjà noté en 1930 que le Québec avait le plus grand nombre d’appareils radio par habitant au Canada (et même plus grand que partout aux États-Unis!), contre le plus bas taux de fréquentation des bibliothèques. 
Depuis le début des années 1990, malgré des efforts importants de la part des gouvernements (dont la Politique de la lecture publique du gouvernement Bouchard en 1995, matrice de ce qui allait devenir BAnQ), et malgré un accès facile à la bibliothèque publique pour 95 % de la population québécoise, le taux d’adhésion stagne dans les environs de 30 %. Ce taux, bien sûr, varie selon les régions; les champions sont au Bas-Saint-Laurent, avec 39,2 %, et en queue de peloton, l’Abitibi-Témiscamingue, avec 19,4 %. 
La population du Saguenay–Lac-Saint-Jean ne se donne pas en exemple. Selon les chiffres les plus récents publiés par le ministère de la Culture, des Communications et de la Condition féminine, les secteurs couverts par le Centre régional de services aux bibliothèques publiques (CRSPB), soit les territoires de moins de 5000 habitants, auraient un taux de fréquentation de 20,5 %. Au même moment, à Alma, il se chiffrait à 24,7 %, tandis qu’à Saguenay, il était de 19,7 %. Les idées dangereuses <a href="http://www.voir.ca/blogs/popculture_saguenay/autodafe.jpg"><img src="http://www.voir.ca/blogs/popculture_saguenay/autodafe.jpg" align="right" border="0" height="247" hspace="9" width="341" alt="" /></a>L’information a toujours été la source du pouvoir. Ce n’est pas fortuit si des extrémistes talibans s’amusent à asperger d’acide des fillettes sur le chemin de l’école. «C’est la raison pour laquelle, depuis l’Antiquité, ceux qui veulent le pouvoir afin de contrôler l’esprit s’en prennent aux bibliothèques et aux livres», affirmait Barack Obama lors d’un discours prononcé un peu avant son élection. Et nous avons tous en tête ces images d’autodafés de livres et de biens culturels qui ont ponctué l’Histoire. 
Et il ne faut pas chercher si loin. Le Québec est aussi resté longtemps dans sa torpeur, empêché de voir le monde par la mise à l’index des livres qui colportaient des idées dites «dangereuses», soit celles qui remettaient en question les autorités religieuses. 
Aujourd’hui, malgré le droit de vote, et même si la bibliothèque publique a été libérée de toute orientation idéologique ou morale, force est d’admettre que les Québécois n’ont toujours pas appris à prendre en main leur destin. Comme si les deux tiers d’entre eux préféraient que quelqu’un d’autre pense à leur place. 
Sinon, pourquoi serait-ce si surprenant de voir un soulèvement comme celui de la semaine dernière? Parce qu’on avait fini par croire qu’il n’y avait qu’une majorité silencieuse, et en marge, une minorité étouffée.