<p>Qu’est-ce que t’attends pour être heureux? Cent fois que tu te poses cette question. Quand tu as vu tes tulipes pointer le ciel, il y a quelques semaines. Quand un ami t’a rejoint par hasard au bord d’un méandre pour taquiner l’omble. Quand tu as pris le bord de la rue sans raison, juste pour le plaisir, et que tu as rencontré ces passants, ceux dont le sourire semblait dire: «Je vous ai déjà vu quelque part, mais je ne saurais dire où.» Et 97 autres fois encore. </p><p>?Tu as toutes les raisons du monde. Souris donc. Qu’est-ce que t’attends pour être heureux? Mille fois que tu te poses la question. Tu es comme tout le monde, tu essaies de te donner un coup de pied au cul. Parce que tu sais bien que le bonheur ne va pas de soi. Qu’il faut le susciter. Que c’est souvent plus facile de maugréer. De te plaindre de tous les maux. Et de t’engoncer dans tes petites tragédies. <br /></p><p>C’est dans cet état d’esprit morose que tu as accueilli <a href="http://icicestpossible.ca" target="_blank">l’initiative du groupe REPÈRE, cette vaste campagne de publicité pour promouvoir la qualité de vie dans la région</a>. On y met l’accent sur la facilité d’accès à la propriété, sur la qualité de vie loin des bouchons de circulation, à proximité de la nature. ?C’est vrai tout ça. Et c’est sans doute la semelle bien placée à l’arrière-train dont tu avais besoin pour aller au-delà de tes doutes. Pour ne pas lâcher prise… C’est bien connu, et Félix Leclerc l’a chanté: «Un coup de pied donné / s’il est bien donné / souvent est pardonné / après quelques années». Ce coup de botte, tu le pardonneras bien avant, parce qu’il est particulièrement bien donné. D’ailleurs, chapeau à Sébastien Pilote qui a réalisé les pubs télé. Superbe travail. </p><p>?En même temps, c’est un peu cousu de fil blanc, tout ça. Ceux qui quittent pour Montréal ou pour Québec le font pour des raisons tout à fait intelligibles. Ils ne sont ni niais, ni endoctrinés par de méchantes brigades métropolitaines sectaires venues piller la région et kidnapper les enfants pour les garder en otage sur leur île de béton. Ils ne sont pas enlevés par «les Autres».? </p><p>Affirmer haut et fort que la vie est belle peut certes rassurer ceux qui restent et leur donner quelques arguments pour tenter de convaincre leurs proches d’en faire autant. Il y a bien quelques avantages à vivre sous le soleil du Saguenay, ou les pieds dans l’eau du lac Saint-Jean. Tu as toi-même choisi cette région, t’y es installé confortablement, prenant femme et pays, et tout ce qui s’ensuit. C’est ton petit coin de paradis. Et c’est justement ton boulot de chercher à le prouver. Ce que tu espères bien faire toute ta vie durant. </p><p>Oui, ici, c’est possible d’être heureux. ?Mais c’est bien beau de pouvoir se payer une maison. Pour cela, il faut un boulot. Tu as cette belle-sœur revenue s’installer près de sa famille pour voir grandir son premier dans l’air parfumé des pessières… Il y a un an, tu l’accueillais à bras ouverts, content de la voir faire ce choix. Aujourd’hui, ni elle ni son conjoint n’ont encore trouvé d’emploi. Sur le carré d’herbe qui sépare de la rue cette jolie maison qu’ils avaient dénichée à leur arrivée, une pancarte annonce que la propriété est à vendre. Il n’y a pas que la volonté pour freiner ces autobus qui quittent la région avec à bord les Saguenéens et les Jeannois désabusés. ?</p><p>Travailler? Ici, c’est possible, dit-on. Possible, c’est ça. Si tu tombes bien.?</p><p>Surtout, qu’on ne te dise pas que la vie culturelle est diversifiée au point où il pourrait s’agir d’un argument de poids face à l’offre de la métropole ou de la capitale. Allons donc. (Et sans salle de spectacle, ce n’est pas pour se régler, oserais-tu ajouter).?</p><p>Tu as beau avoir une passion enflée pour la culture qui se fait dans la région, tu es comme tout le monde, et tu ne peux pas faire autrement que te plaindre à l’occasion. Quand tu t’emmerdes de ne pas pouvoir assister à la première performance de Marie Chouinard en 20 ans. Quand tu manques cette pelle mécanique dont la valse n’a rien à voir avec celles qui creusent des tombes ou des tranchées. Quand tu te rends compte que si tu étais à peu près n’importe où ailleurs au Québec, tu aurais déjà pu visionner le film de Xavier Dolan. Celui qui défraie toutes les manchettes depuis plusieurs semaines. Tu as l’habitude d’attendre pour voir les meilleurs films. Alors attends.?</p><p>Tu es d’accord, c’est important que les gens se sentent fiers, attachés à leur région. Chacun devrait avoir un drapeau tatoué sur le cœur. Parce que c’est vrai qu’avec la passion et un peu de chauvinisme on peut faire bouger les choses. Mais de grâce, qu’on n’essaie pas de te faire croire que tout est parfait dans le meilleur des mondes.?</p><p>Ça suffit. Qu’est-ce que t’attends pour être heureux? «Rien, réponds-tu. Je suis heureux. Mais lucide.» <br /></p>