<p>Ça y est, j’y ai goûté. Il y avait un plein soleil au Portage-des-Roches, à Laterrière, et j’entendais gronder l’eau crachée par les écluses. J’avais décidé de me payer une retraite pour travailler à ce roman que mon éditeur attend. Je ne voulais penser ni au journal, ni aux enfants. Qu’à moi, et à ce travail que je voulais avancer. Un traitement royal que je me réservais dans ce vieux shack.</p><p><br /><a href="http://www.voir.ca/blogs/popculture_saguenay/chalet.jpg"><img src="http://www.voir.ca/blogs/popculture_saguenay/chalet.jpg" border="0" height="396" width="594" alt="" /></a><br /></p><p>Le chalet que j’avais investi sentait encore les années 70. Avec des scènes animalières peintes directement sur les murs, de vieux sofas défoncés, des tapis décolorés. Les volets venaient à peine d’être ouverts pour laisser pénétrer la lumière, et un coup de balai rapidement passé laissait retomber la poussière de tout un hiver. <br /><br />«Il y a déjà un écrivain qui est venu ici, m’a-t-on dit. Je ne me souviens plus qui c’était. On ne l’a pas vu de toute la durée de son séjour, alors je ne pourrais même pas le reconnaître.» Je comprends. Quand on décide de se sortir du monde, il faut le faire pour vrai. <br /><br /><a href="http://www.voir.ca/blogs/popculture_saguenay/machineaecrire2.jpg"><img src="http://www.voir.ca/blogs/popculture_saguenay/machineaecrire2.jpg" title="La vieille Remington" alt="La vieille Remington" align="left" border="0" height="190" hspace="9" width="286" /></a>À l’étage, au-dessus du porche, un solarium chauffait tout le chalet. Et dans cette cage de verre, au beau milieu des branchages d’épinettes qui embrassaient la construction, un bureau était couronné d’une vieille Remington, une machine à écrire noire qui semblait sortie tout droit du Festin nu de David Cronenberg. <br /><br />J’ai travaillé jusqu’au coucher du soleil avec aux pieds ma chienne inquiète, roulée en boule à proximité pour sentir ma présence. Puis, j’ai continué d’écrire, de réécrire, de corriger, alors que le monde n’était plus qu’un carré de lumière dans la nuit. Il n’y avait plus ni journal, ni famille, ni politique. Que mon livre et moi. Les papillons de nuit venaient vrombir contre les carreaux. J’étais devenu un leurre, une fausse lune, au centre du monde. Ça faisait des années que ça ne m’était pas arrivé.<br /><br />Je ne suis pas de ceux qui croient que les artistes et les auteurs doivent être torturés pour avoir une démarche intéressante. Les meilleurs ne sont pas souvent des créateurs solitaires qui se grattent le bobo et se vident les tripes en s’imaginant changer le monde. Je crois au travail. <br /><br />Mais la retraite, même si elle isole, n’encourage pas à se faire hara-kiri pour trouver les parts les plus sombres de son intérieur. Étrangement, dans le silence du vieux chalet, je n’ai pas été confronté à mes peurs ou à mes souffrances. Je ne me suis pas pété la tête contre les murs, ouvert les veines, soûlé la gueule. J’ai seulement profité d’un moment de bien-être calme et exclusif. Pendant la nuit, parce que le vieux poêle n’était pas en état de fonctionner, j’ai même fait monter ma chienne près de moi, sur le divan où je m’étais endormi, pour profiter de sa chaleur. Ce n’est rien, direz-vous. Justement. Un autre petit rien qui a fait du bien. Puis au matin, quand trop tôt les oiseaux nous ont réveillés, j’ai repris le boulot. En une quinzaine d’heures, j’avais fait ce qui aurait nécessité plusieurs semaines de travail si j’avais continué de griffonner une phrase à gauche et à droite, entre deux articles et trois nouvelles. <br /><br />Il n’y a pas assez d’endroits réservés aux auteurs pour qu’ils puissent se recueillir. Ce n’est pas la première fois que je l’écris. Mais c’est la première fois que je le ressens avec autant d’acuité. Ce n’est pas un secret, un projet de résidence d’écrivain est en voie d’élaboration à La Baie, en collaboration avec l’Association professionnelle des écrivains de la Sagamie–Côte-Nord. On sait déjà que Danielle Dussault (Salamandres, L’Imaginaire de l’eau) sera la première auteure à en profiter. Mais au mieux, le projet accueillera une poignée d’auteurs par année. Je suis de ceux qui en voudront toujours plus… <br /><br />Quand au matin je suis sorti avec mon portable sur la galerie étouffée par les végétaux, que la rosée séchait tandis que grondait la rivière à quelques centaines de mètres, je me suis dit qu’il ne fallait pas grand-chose, en fait. Qu’un lieu quelque peu en retrait, un peu de silence. Un peu de temps. <br /><br />Et si les maisons d’édition avaient un shack à offrir à leurs auteurs? Tiens, quand mon éditeur aura fait un coup d’argent, il faudra que je lui en parle. <br /><br /><b>Le règne du silence</b><br /><br />Je viens d’écrire que pendant cette retraite je n’ai pensé à rien d’autre qu’à mon roman. Je ne vous ai pas menti, mais disons que ce n’est pas non plus la vérité. Il faut dire que je sortais d’une entrevue particulièrement mémorable avec Son Altesse Denys 1er, ancien roi de L’Anse, et Hervé Fischer. J’y ai repensé un peu.<br /><br />La première fois que j’avais rencontré Denys Tremblay, il y a quelques années, c’était lors d’un vernissage. Il m’avait généreusement expliqué le projet qui lui avait permis de devenir souverain. Ce qui me frappe aujourd’hui, c’est l’extrême lucidité dont il avait fait preuve. <br /><br />Bien sûr, il était déçu d’avoir dû abdiquer, parce qu’il croyait véritablement à son projet. Mais il m’avait alors affirmé qu’il savait que cette histoire referait parler d’elle un jour. «Je ne sais pas qui en parlera, je ne sais pas quand ça arrivera, mais c’est une histoire qui ne sera jamais terminée», m’avait-il à peu près dit. Aujourd’hui, on voit le résultat de deux initiatives différentes, originalement distinctes – l’exposition de La Pulperie et l’écriture d’un livre par Hervé Fischer. En fait, Fischer avoue avoir convenu d’accélérer quelque peu la publication du livre lorsqu’il a su que l’exposition aurait lieu. Mais ça ne change rien au fait que c’est une coïncidence remarquable. Denys Tremblay avait raison. <br /><br />Après des années de silence, il refera parler de lui. Un roi ne meurt jamais.<br /><br /></p>