Complètement Martel

L’ère de la performance

<p>Aucune étoile. Une pluie pailletait les trottoirs de Québec tandis que je roulais dans le brasillement des réverbères. Les vitres baissées pour mieux voir les adresses et les enseignes des commerces, je humais le parfum du bitume humide, de la poussière graisseuse de la rue. Étrangement, c’est une odeur que je ne déteste pas. Qui me rappelle l’époque où j’étudiais dans la Vieille Capitale. Quand j’allais marcher dans la rue pour le simple plaisir d’être seul au travers du monde. Et cette ambiance mouillée était parmi mes préférées.<br /><br />Quelques dollars dans le parcomètre, puis l’appareil photo glissé au cou, le calepin enfourné dans la poche revolver, j’étais prêt à tout. J’allais à une soirée de performances artistiques organisée à la Galerie Tzara, à quelques pas de la gare du Palais. <br /><br />Derrière un aménagement urbain d’arbustes qui se découpait dans le béton du trottoir, la galerie était un carré de lumière aveuglante perçant les façades éteintes à cette heure tardive. À vue de nez, il devait y avoir une soixantaine de personnes attroupées dans le petit espace aux murs dénudés pour assister à l’événement Pro-Pulsion, avec à l’affiche Adam Bergeron, Rachel Echenberg, Christian Messier, Hugo Nadeau et Guillaume Adjutor Provost<b>.<br /><br />L’inaccessible étoile</b><br /><br />Évidemment, ce n’est pas moi qui vais le nier: la performance n’est pas un art qu’on pourrait dire populaire. Et ce n’est sans doute pas sur le point de changer. Mais ce soir-là, j’ai assisté à une situation particulièrement intéressante. <br /><br />En effet, dès le discours d’ouverture, j’ai compris qu’il se passait quelque chose. Christian Messier, reconnu pour ses performances extrêmes, était à la fois participant, maître de cérémonie et organisateur. Dans son court exposé, il s’appliquait à vulgariser l’art de la performance. Étant un habitué de ce genre d’événement – autant que cela puisse être possible dans notre région –, j’ai trouvé ce discours particulièrement étrange. Ce que je ne savais pas, c’est que dans la salle, plusieurs personnes allaient vivre leur baptême de cet art du corps en mouvement. <br /><br />Au gré de quelques conversations entamées avec les autres personnes rassemblées, j’ai fini par comprendre que Tzara est un organisme à but non lucratif, mais qu’il dépend en bonne partie de ses revenus pour son fonctionnement. À ce titre, son réseau est plus proche de celui des galeries commerciales que de celui des centres d’artistes. Plusieurs invités, membres de la galerie, découvraient donc une pratique très loin de ce qu’ils ont l’habitude de voir… D’où le discours didactique et rassurant de Messier.<br /><br />Le jeu en valait la chandelle. Je ne crois pas que tous aient été convaincus, mais plusieurs ne seront pas restés indifférents devant le travail de ces artistes aux démarches divergentes. Devant un Christian Messier résistant sous un drap enflammé, bien sûr, j’ai entendu des commentaires comme «Il est complètement malade!». Mais en discutant à la fin de l’événement avec d’autres spectateurs, j’ai dû me rendre à l’évidence: côté développement de public, Pro-Pulsion aura été d’une efficacité rare. «C’est un peu comme du théâtre», me disait quelqu’un. Un peu. Quelque chose comme un théâtre sans histoire, plus vrai que nature. Adam Bergeron, dont l’action était plutôt sonore, décrivait quant à lui son travail comme proche du jazz: «C’est entre <i>tension</i>/<i>release</i>. Une part d’organisation, une part d’improvisation.»<br /><br /><b>Un art nomade</b><br /><br />On dit de Québec qu’elle est une ville importante pour la performance. C’est en tout cas ce qu’a lancé Messier pendant son discours. Un peu sceptique, je me suis informé d’où venait cette réputation. C’est un autre performeur présent à titre de spectateur, Francis Arguin, qui aura répondu à ma question. Rencontré sur le trottoir entre deux prestations, il m’a affirmé que cette image dépend presque exclusivement de la Rencontre internationale d’art performance de Québec, une biennale organisée par le centre d’art actuel Le Lieu. Et que, paradoxalement, peu de performeurs originaires de Québec se produisent sur place. Du même souffle, il m’avouait avoir peu d’occasions de présenter son travail dans son milieu.<br /><br />À ce prix, Saguenay pourrait bientôt se vanter d’être aussi un lieu de prédilection pour la performance. L’événement Art nomade, qui avait eu un grand succès à La Pulperie de Chicoutimi en 2007, verra se déployer sa deuxième édition du 2 au 4 octobre. Nouvellement produit par Le Lobe, le festival international d’art performance mis sur pied par Francis O’Shaughnessy accueillera Chumpon Apisuk, Sylvie Cotton, Les Radicaux libres, Patrice Duchesne, Elvira Santamaria, Tanya Lukin Linklater, Bartolomé Ferrando, Monika Günther et Ruedi Schill. <br /><br />Bon, je sais, Art nomade n’aura jamais une affluence comme celle de <i>La Fabuleuse</i>, et je doute qu’on puisse voir un jour les croisiéristes se bousculer à La Pulperie pour un événement de performance. Mais à Tzara, j’ai eu la preuve que la performance n’est pas un art aussi inaccessible qu’on semble parfois le croire. Qu’il suffit souvent d’un peu d’ouverture pour profiter du spectacle. <br /></p>