Complètement Martel

Face à l’ascète

<p>L’orage avait transformé la côte Sainte-Geneviève en rapides. Sur le trottoir, j’aurais pu être noyé par les éclaboussures des véhicules. Mais j’étais planté derrière la vitrine de mon nouveau salon. <br /><br />J’avais dans le corps comme une décharge, un souvenir physique de l’adrénaline qui m’avait fouetté quelques semaines plus tôt, le soir de l’incendie. Décidément, j’apprécie moins le spectacle de la nature qui se déchaîne, quand la pluie drue fait sa <i>drill</i> militaire contre le verre qui nous sépare du monde, mêlée de grêle et d’imprévisible. Je me sentais comme ça: une poignée de grelots blancs dans la fenêtre. Sous la main, je tenais un peu froissée la plus récente édition de Voir, soit la première depuis novembre 2005 à laquelle je n’ai pas participé. Et le monde n’a pas arrêté de tourner. <br /><br />J’ai glissé le premier album de ma nouvelle vie dans la fente de mon portable. Après avoir entendu parler de ce qui m’était arrivé, l’équipe de Dare to Care m’a fait parvenir une deuxième copie de l’album de <a href="http://vimeo.com/3718478" target="_blank">La Patère rose</a>. Alors ça tourne en boucle depuis. Une chance que c’est bon, parce que s’il avait fallu que le premier album de ma nouvelle vie soit <i>Nos stars célèbrent le jazz à Montréal</i>, je ne suis pas sûr que je m’en serais remis.<br /><br />Vous me croirez si vous voulez, j’ai réussi à trouver plus mal pris que moi. Au centre d’artistes Le Lobe, comme chaque été, un créateur est installé pour une longue résidence. Jusqu’à la fin du mois d’août, c’est François Lemieux qui profite des lieux pour créer ce qui devrait devenir sa première véritable exposition en milieu professionnel, sa production n’étant pas tournée vers l’objet mais vers une action politique visant à «réhabiliter des espaces de résistances». <br /><br />Le pauvre diable mène une vie d’ascète, sans subventions, avec un revenu annuel d’environ 10 000$. Ce qui ne l’a pas empêché de créer, à même son petit appartement montréalais, une résidence pour artiste et une galerie où il passe beaucoup plus de jeunes créateurs que dans n’importe quel centre d’artistes québécois. Pendant qu’il m’expliquait à quel point il a peu de possessions matérielles, «même pas de télé», je revoyais défiler sous mes yeux la trop longue liste de ce que j’ai perdu dans l’incendie de ma demeure. J’avais devant moi l’opposé parfait de ce que je suis, soit un ramasseux amateur de gadgets aussi étranges qu’inutiles.<br /><br />Lemieux n’est pas passé au feu. Mais alors qu’il avait pris quelques jours de congé, entre le 8 et le 11 juillet, pour visiter un peu l’arrondissement de La Baie avec des amis, quelqu’un en a profité pour subtiliser son vieux Mac. «Celui qui l’a en main n’aura jamais d’argent pour ça», m’a-t-il dit, insistant sur le fait qu’il s’agit d’une vieille machine. Mais ce qu’il a perdu était de grande valeur. Car avec l’ordinateur qui s’est volatilisé de la galerie du Lobe, le voleur a chapardé son disque dur externe et sa clé USB. Donc tous ses projets, textes et CV, et toutes les informations personnelles qui s’y trouvaient.<br /><br />Pour son exposition qui doit avoir lieu à la fin de sa résidence, l’artiste travaillait à la conception de structures géodésiques (pensez au pavillon américain de l’Exposition universelle de Montréal, cette immense construction sphérique située sur l’île Sainte-Hélène). Dans son ordinateur se trouvaient entre autres tous ses calculs pour la conception de ses formes… Et plus encore: avant son arrivée pour la longue résidence d’été, il venait de terminer la conception d’un immense labyrinthe (environ 2 m x 3 m) qui devait être imprimé lors d’un prochain passage au centre Sagamie. Un projet qui lui avait demandé, de son propre calcul, des centaines d’heures de travail. <br /><br />Il ne reste plus qu’à espérer qu’il prenne quelque scrupule à l’auteur du méfait, juste assez pour au moins retourner les informations des disques durs au centre d’artistes. Ne comptant pas trop là-dessus, Lemieux canalise sa colère et travaille d’arrache-pied pour glaner, auprès de ses collaborateurs passés et des organismes auxquels il a eu affaire, certains documents qui pourraient l’aider à se reconstruire une banque de données viable – ce dont les artistes ont un urgent besoin lorsqu’ils doivent contacter des centres d’artistes ou des subventionnaires pour vendre leur salade…<br /><br /><b>Simplicité involontaire</b><br /><br />Maudit que c’est plate TVA. Quand je m’assois devant ma petite télé neuve, branchée sur des antennes genre «oreilles de lapin», c’est tout ce que j’arrive à capter, sinon Radio-Canada, que je peux écouter sans arriver à voir l’image. Tous les jours, je remercie le ciel et tous les saints qui s’y chatouillent d’avoir mis RDI en direct sur Internet (et le gars d’en haut de partager son wi-fi avec moi). Comme ça j’ai accès à quelque chose de parfois potable. Moi qui suis junky du petit écran… Je sens que mon été en sera consacré à la lecture! <br /></p>