<p><a href="http://www.voir.ca/blogs/popculture_saguenay/03_barbara_garant.jpg"><img src="http://www.voir.ca/blogs/popculture_saguenay/03_barbara_garant.jpg" border="0" height="441" width="587" alt="" /></a></p><p>Des piles de cahiers et de feuilles volantes au coin du pupitre, salis de poussière de graphite, comme la paume de ma main, et parfois même ma joue, lorsque je m’appuyais pour chercher l’inspiration dans le carré bleu du ciel sur lequel s’ouvrait ma fenêtre. <br /><br />D’aussi loin que je me souvienne, j’ai rêvé d’écrire pour vivre. Je me revois en culotte courte griffonner nombre d’histoires, la cuisse collée sur la chaise moite, à regarder les autres garçons et les fillettes faire leurs jeux d’enfants. Je préférais toutes mes histoires à leurs cris et bousculades. Elles étaient fantastiques, mes histoires, influencées à la fois par Bugs Bunny, l’inspecteur Gadget, les Goonies et Voyage au centre de la terre.<br /><br /><a href="http://www.voir.ca/blogs/popculture_saguenay/soeurdejudith.jpg"><img src="http://www.voir.ca/blogs/popculture_saguenay/soeurdejudith.jpg" align="right" border="0" hspace="9" alt="" /></a>Écrire pour vivre? Peut-être me suis-je longtemps trompé. C’est ce qui me trotte en tête depuis que j’ai rencontré Lise Tremblay, cette auteure d’origine saguenéenne réfugiée dans la région pour la période estivale. Épanouie, sûre d’elle mais tout à la fois accessible, elle a brassé à peu près toutes les idées que j’entretenais à propos de la situation des auteurs québécois…<br /><br />Aussi excité qu’un jeune stagiaire, j’avais préparé cette entrevue comme rarement je le fais. J’allais tout de même rencontrer une écrivaine dont le curriculum fait la liste d’une quantité impressionnante de prix littéraires. «Tout le monde fait trop de cas de ces prix. Je n’y pense jamais. Dans le fond, il n’y a pas de différence entre la personne qui remporte le prix et celle qui est finaliste. Tout ce qui est arrivé, c’est du hasard. J’ai surtout eu beaucoup de chance», m’a-t-elle confié avec grande modestie. <br /><br />Apparemment mal à l’aise en équilibre sur un piédestal, Lise Tremblay s’est appliquée à déboulonner celui où je l’avais placée bien avant mon entrée dans son chalet. C’était une vieille construction bien imparfaite, repaire secret sis quelque part à l’autre bout du chemin, là où les voisins les plus bruyants sont les huards. Elle me les aura d’ailleurs présentés pendant l’entrevue, montrant du doigt un carreau de fenêtre qui donnait sur un lac minuscule.<br /><br />Les critiques qui se sont intéressés à ses livres (dont La Danse juive, La Héronnière et La Sœur de Judith) ont parlé de l’exceptionnelle limpidité de son écriture. Ils ont dit de son travail qu’il est lucide, épuré et concret. Cette simplicité qui fait le charme de son écriture ne sort pas de nulle part: c’est elle, tout simplement. C’est sa façon de parler. Sa façon d’accueillir. Sa façon de dénoncer, parfois. <br /><br />Les pieds solidement posés dans le réel, elle ironisait volontiers sur ce que j’appelais «le milieu des littératures». Elle avait cette attitude de bonne mère qui ne met pas de gants blancs pour dire ce qu’elle pense… J’ai eu envie de la faire parler – c’est une femme qu’on aime écouter.<br /><br />«Je n’avais pas le dessein d’être écrivain. Je n’ai pas d’ambition. Je viens d’un milieu ouvrier où le mot écrivain n’existait pas. Si j’écris, c’est parce que je n’ai pas le choix. Si j’avais le choix, je n’écrirais pas de roman, parce que c’est complètement fou. Mais c’est l’expression de ma liberté. Je gagne ma vie en enseignant au cégep. Le travail me “grounde” beaucoup, me remet dans la réalité. Pour moi, la littérature, c’est un luxe. Je ne gagne pas ma vie avec ça.» Peut-être la réponse est-elle là. <br /><br />Dans ma tête d’enfant, il était inutile de se demander si c’était même possible, si j’avais le droit d’écrire telle ou telle histoire. Je pouvais écrire ce que je voulais, parce que je n’écrivais que pour moi. Depuis, j’ai appris à me préoccuper de ce que les autres en pensent. J’ai fini par me dire que je devais écrire assez bien pour les éditeurs, assez bien pour les lecteurs, assez bien pour être toujours fier, même quand je serai très vieux, et que je regarderai la pile de tous les textes que j’aurai écrits. Pourtant, ce n’est déjà plus le cas depuis longtemps.<br /><br />J’aimerais parfois redevenir le petit gars que j’étais, amoureux bien avant l’âge de ces fillettes qui jouaient avec les autres, écrivant sur tout et sur rien. Aujourd’hui, j’écris pour vivre. Mais peut-être qu’au fond, ce dont je rêvais vraiment, c’était plutôt de travailler pour vivre, et de continuer de toujours vivre pour écrire.<br /><br />Au sortir de son chalet, franchement bouleversé après ces quelques heures passées auprès d’elle, elle m’a surpris alors que je prenais un instant pour profiter du paysage. Je ne l’avais pas entendue passer le seuil derrière moi. «C’est beau, chez nous, hein?» J’ai acquiescé. «Dire que la semaine prochaine, ce sera la rue Saint-Denis…» L’été au Saguenay, pour elle, était déjà terminé. Pour moi, c’était comme s’il allait recommencer.</p><p> </p><p>***</p><p>La photo jointe à cette chronique montre une oeuvre de l'artiste saguenéenne <b>Barbara Garant</b>, une huile sur toile montée intitulée <i>Enfants suspendus</i> (2006). </p><p>Barbara Garant vit et travaille à Saguenay. Elle détient un baccalauréat interdisciplinaire en art et une maîtrise en art (UQAC 2008). Elle a présenté ses oeuvres picturales et infographiques portant sur la mémoire, l’étrangeté qui nous côtoie et un questionnement sur l’existence au Toqué Rouge (2007), au Centre national d’exposition de Jonquière (2007-2008) et à Langage Plus (2008, dans le cadre de l’exposition Repérage Loto-Québec). Elle est membre du conseil d’administration du centre d’artistes Le Lobe de Chicoutimi et des ateliers d’artistes Touttout. Elle a également écrit des textes pour Le Lobe, Espace Virtuel, le Centre Sagamie (revue Le Sabord) et collaboré au journal culturel Voir Saguenay-Alma. Son travail a été appuyé par Médium Marge, la Bourse Denis Langlois et Sagamie et la résidence de l’UQAC aux ateliers Touttout. <br /></p>