Complètement Martel

Sans talons aiguilles

<p><a href="http://www.voir.ca/blogs/popculture_saguenay/chronique2.jpg"><img hspace="9" src="http://www.voir.ca/blogs/popculture_saguenay/chronique2.jpg" align="right" border="0" alt="" /></a>Petit déjeuner sur la terrasse, à quelques mètres de la rivière. Le soleil me tape sur le front, mais le vent a déjà pris un air de septembre et porte la fraîcheur du lac jusqu’à nous. Il se glisse par l’entrebâillement du col et des manches de nos vêtements. </p>
<p>À ma table, trois amis poètes étrangement gais. En fait, ce que je trouve étrange, c’est que je n’arrive pas à me réjouir autant qu’eux, malgré l’ambiance plutôt légère. En rigolant quand même un peu, nous finissons par mettre ça sur le dos de l’ivresse de la veille – une vraie gueule de bois, une fois de temps en temps, ça n’est pas si malsain. </p>
<p>En réalité, ça n’a rien à voir. J’ai seulement le blues, comme ça m’arrive parfois. Sans prévenir, un uppercut, et je suis longtemps sonné avant d’enfin pouvoir me relever. La serveuse arrive avec le menu; je n’ai pas encore choisi mon déjeuner que déjà je sais qu’il m’en restera une amertume que je ne pourrais expliquer. </p>
<p>C’est que la veille, justement, j’ai vécu quelque chose qui m’a bouleversé. Appelons ça une soirée de poésie, si on veut, mais il n’y avait pas que ça. J’ai bien sûr apprécié la chance que j’avais de voir défiler cette ronde de poètes, dont la plupart m’étaient jusque-là inconnus. Mais j’ai surtout découvert un monde auquel je ne croyais plus.</p>
<p>La salle de l’Auberge Île-du-Repos était pleine à craquer, ce que le stationnement débordant avait laissé présager. Mais comme on célébrait le 35e anniversaire de ladite auberge, j’avais cru qu’on s’y retrouvait surtout pour lever le coude. </p>
<p>À mon grand étonnement, l’auditoire faisait preuve d’une attention rare. Et plusieurs spectateurs ont su garder la même concentration pendant quatre heures de lectures. Quatre heures de poésie, bordel. Les autres se sont éclipsés sans bruit, ont attendu un entracte pour se faufiler dehors, où la nuit avait aussi quelque chose de poétique. Parce que «quand tu n’écoutes plus, rien ne vaut plus…» Je tiens ça d’un poète. Je ne sais plus lequel.</p>
<p>Dans ce monde hors du monde pouvaient se côtoyer un maire, des chanteurs reconnus, des poètes punks ou sur le pouce, des «hommageurs» de Félix, des têtes brûlées, des professeurs, des trop sérieux, du ben bon monde. Même un chroniqueur culturel ne se sentait pas trop à l’écart dans cette faune hétéroclite. </p>
<p>On a pu entendre <b>Richard Desjardins</b>, fragile et authentique, chanter a capella des paroles écrites pour Elisapie Isaac, du projet Taïma. De quoi faire verser une larme – vraiment. Ça fait qu’on s’en ennuie de Desjardins, qu’on a bien hâte qu’il sorte autre chose. Ça commence à faire longtemps. <br /><b>Ève Cournoyer</b>, aussi, nous a servi un reggae, question de nous ragaillardir. Et la jeune <b>Marcie Gagnon</b>, vous savez, celle qui a gagné la plus récente édition de la Bourse Objectif scène… Elle a bien sûr charmé tout le monde, comme toujours… Et parmi eux, les <b>Jean Désy</b>, <b>Marie-Christine Bernard</b>, <b>Charles Sagalane</b>, <b>Pierre Demers</b>, <b>David Wormaker</b>, <b>Claude Bouchard</b>, et j’en passe… À travers leurs mots, quelques coups de poing bien sentis que j’ai reçus en pleine gueule, aussi de calmes portraits de la beauté, quelques vers revendicateurs… La poésie, quoi, sans fard ni talons aiguilles, indépendante, qui peut bien faire ce qu’elle veut.</p>
<p>Si au déjeuner, entouré de personnes que j’aime et respecte, je suis si sombre et amer, ce n’est pas parce que j’ai été déçu, au contraire. C’est parce que maintenant que j’ai vu que la poésie pouvait être si vive et respectée, je me demande comment je pourrai continuer de vivre sans la rencontrer à nouveau. Faudrait pas que l’auberge attende 35 ans encore pour réorganiser un tel événement. <br />Peut-être pourrais-je me rabattre sur la quatrième Nuitte de poésie au Saguenay, organisée le 30 avril prochain par les Poèmes animés… Le temps sera long d’ici là.<br /><br /><b>Un pamplemousse dans Pop culture</b><br /><br />Né à Saint-Henri-de-Taillon, <b>Pierre Bouchard</b> vit aujourd’hui à Québec où il travaille dans le domaine des communications visuelles. Il a entre autres coédité le magazine <i>Fanzine bidon</i> et publié la bande dessinée <i>L’Île-aux-Ours</i>, aux éditions Mécanique générale, pour laquelle il a reçu le prix Réal-Fillion. Petit déjeuner fait partie d’une série où s’entrelacent les médiums du dessin et du <i>street art</i>, qui se rapproche du graffiti. On peut suivre le travail de Bouchard sur <a href="http://aliaspetr.blogspot.com/" target="_blank">son blogue dessiné</a>. </p>
<p>Je réitère mon invitation aux artistes installés dans la région ou qui en sont originaires: faites-moi parvenir quelques-unes de vos œuvres, que je découvrirai avec grand plaisir. Elles pourraient se retrouver comme un pamplemousse dans Pop culture… <br /></p>