<p>C’est vrai que c’est une musique un peu étrange. Que si on s’attendait à voir s’époumoner une diva pop dans sa robe à paillettes sur une scène inondée de lumières de couleur, dansant au rythme de ses chants de gorge, ou si on espérait entendre la voix éraillée d’un rocker tendre et sobre, des tattoos sur le torse et le cul stretché dans un pantalon de cuir, ou si on croyait passer la soirée à chanter avec un chansonnier les mêmes vieilles tounes que la veille et l’avant-veille, et que toutes les années passées accoudé au même comptoir, alors, bien sûr, ça peut surprendre.</p><p>La musique spécialisée n’a pas la prétention de devenir un jour populaire. Elle ne fera jamais de tournées d’humoriste (étirant les supplémentaires après avoir étampé une petite étoile sur son calendrier chaque fois que la salle était pleine, même sans avoir fait de publicité). Non, elle n’est pas comme ça, la musique spécialisée. Elle se contente de peu, de très peu, en fait. Une niche juste à elle, un peu à part, unique, mais peu visitée. </p><p>Et voilà que le grand méchant loup se pointe, avec du souffle à ne plus savoir quoi en faire, pour la lui raser, sa niche. Tandis que tout le monde regarde ailleurs avec soulagement en se disant que la saison de hockey va recommencer sans qu’on soit obligés de se tracasser avec de nouvelles élections. Vlan. Tant pis pour elle. </p><p>Cet été, alors que nous nous regardions le nombril en rageant contre une météo maussade, le ministre du Patrimoine, James Moore, en a profité pour annoncer des coupures chirurgicales. Pour faire passer le bobo, on a emballé le tout d’une jolie catin, cherchant à nous faire croire qu’au fond, l’intention était plutôt d’investir dans la culture – comme c’est devenu une habitude chez ce gouvernement. </p><p>Pendant qu’ils offraient un lifting à l’industrie de la musique de masse, les conservateurs jouaient aussi du scalpel un peu plus loin: un coup de lame qui a fait tomber les programmes Subvention à l’enregistrement sonore de musique spécialisée et Aide à la distribution de musique spécialisée. </p><p>Pour discuter de la situation, j’ai contacté <b>Guillaume Thibert</b>, directeur du Centre d’expérimentation musicale (CEM), un organisme fondé en 1980 et dont la mission touche le développement du milieu des musiques nouvelles et émergentes au Saguenay. D’abord abasourdi d’apprendre une telle nouvelle – il faut dire que ça s’était fait en douce ! –, il a fait ses recherches pour se rendre à l’évidence: «C’est tellement imprévu, je pense que personne ne s’attendait à ça. Ce sont deux programmes qui sont très importants pour le milieu de la nouvelle musique et de la musique contemporaine. Toute l’industrie du disque en nouvelle musique est mise à terre par cette annonce-là.»</p><p>«C’était la seule possibilité de subvention parce que Musique Action, la SODEC et Patrimoine Canada ne touchent pas à la musique non classique et non commerciale. Les choix de ces organismes répondent à des logiques commerciales, avec des crédits d’impôt, des prêts garantis et tout ça. En nouvelle musique, tu ne peux pas travailler comme ça.»</p><p>Pour plusieurs artistes, il s’agit là d’une décision idéologique. «C’est une logique de commerce, de produit culturel, d’industrie de la culture… Autant ils ont coupé dans la recherche fondamentale en science, autant ils coupent dans la recherche fondamentale en art. Pourtant, c’est la base du développement de la discipline. Et c’est ce qui fait que le Canada pourrait être un leader en musique. En fait, ce sont des tremplins: en produisant des disques, tu travailles avec d’autres musiciens, tu développes des réseaux et tu avances.»</p><p>Parmi les nombreux artistes qui ont profité des programmes abolis, on compte le saxophoniste de jazz <b>Yannick Rieu</b> et la formation trad <b>Le Vent du Nord</b>, dignes représentants du Québec jusque loin de nos frontières. Aussi, <b>Bernard Falaise</b>, qui a déjà travaillé avec le CEM, lauréat du dernier prix Opus, disque de l’année en musique actuelle, pour l’album Clic. Mais qu’importe de perdre tout ça? Ça ne joue pas à la radio. </p><p>Évidemment, le milieu s’organise. Pétitions, lobbyisme, etc. C’est la démocratie qui se lève un matin et qui se demande, la poche pleine de cailloux, si elle réussira à faire bouger le monstre de la politique fédérale. Encore une fois.</p><p><b>Érick d’Orion</b>, un artiste très en vue dans le milieu des arts visuels – dont on a pu voir (et entendre) le travail à Séquence l’année dernière –, est d’ailleurs parti en croisade pour tenter de convaincre les autres partis siégeant face au gouvernement Harper de remettre le sujet sur la table. Mais le temps passe, et la musique spécialisée pourrait bien être forcée au mutisme. </p><p>Y aura-t-il un jour un monde assez parfait, assez lisse et plat, sans accroc et sans fausse note, pour les bonzes du Parti conservateur? Quand tous les artistes se seront fermé la gueule, sans doute. Qu’ils feront de belles œuvres, de celles qui ne dérangent pas. Et quand nous n’aurons plus pour culture que le pâle divertissement dont on se gave trop souvent. <br /></p>
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Suite à la lettre envoyée par l'artiste Érick d'Orion au Bloc québécois (je vous en parlais dans