Complètement Martel

Ceci n’est pas une chronique nécrologique

<p>Dans une poussette parapluie où je me cognais sans cesse les genoux, mon fils – le plus vieux, qui alors n’avait pas encore deux ans – commençait déjà à s’impatienter. Le Salon du livre de Québec avait attiré une faune de lecteurs avides et curieux. Nous faisions tranquillement la file devant un kiosque tandis qu’un poète, Martin Bélanger, prenait le temps qu’il fallait pour gratter de la plume la première page d’un recueil qu’on venait de lui tendre.</p>
<p>J’étais impressionné. Le type étudiait en enseignement au secondaire avec moi, à l’Université Laval, et nous avions eu l’occasion de partager quelques vers – et quelques verres, faut l’avouer – lors de soirées de poésie improvisées dans mon appartement d’étudiant. </p>
<p><a href="http://www.voir.ca/blogs/popculture_saguenay/Poesitations.jpg"><img src="http://www.voir.ca/blogs/popculture_saguenay/Poesitations.jpg" align="left" border="0" height="427" width="235" alt="" /></a>Je savais que ses poèmes, c’était de la chair à canon, que ça hurlait assez fort pour attirer l’attention. C’était de la poésie de combat, de celle qui se lève d’un coup et soulève la poussière des champs de mines, se moquant de tout ce qu’il y a à perdre. Et voilà, je n’étais pas le seul à le penser. Il avait réussi à publier une plaquette d’une soixantaine de pages intitulée non sans une pointe de génie <i>Poésitations et autres pleurs de lys</i>.</p>
<p>En me voyant, il m’avait accueilli, certes victorieux, mais sans complaisance. Alors que mon garçon ne connaissait pas encore grand-chose du monde, Bélanger lui avait dédicacé mon exemplaire, exprimant simplement l’espoir qu’il avait de le voir vivre un jour dans un pays encore à naître. Je me souviens être reparti bouleversé. Je suis comme ça.</p>
<p>Martin Bélanger ne sera pas au Salon du livre du SLSJ. Aux dernières nouvelles, il n’est pas non plus question que son recueil soit réédité – il semble même qu’il soit plutôt difficile de se le procurer. D’ailleurs, après l’incendie de ma maison – ça te vide une bibliothèque, ça! –, l’auteur m’en a fait parvenir un nouvel exemplaire dédicacé, m’expliquant que c’est devenu une rareté. Il est des livres comme ça qui disparaissent. Et c’est un grand malheur. </p>
<p>Si j’ai choisi d’en parler, c’est surtout parce que, à la mort de Pierre Falardeau, j’ai eu envie de m’y replonger. Parce que c’est Falardeau qui avait signé sa préface: une courte page si justement intitulée <i>Espoir</i>. C’était un court texte en italique, parce que c’est comme ça qu’on écrit la colère enthousiasmée d’un Falardeau, sans doute. Sans nostalgie, il se rappelait les Miron, Perreault et Godin, ainsi que <i>L’afficheur hurle</i> de Paul Chamberland, récemment lu par Raôul Duguay au Moulin à paroles. Et il voyait en Bélanger l’espoir que d’autres trouvaient en lui-même: «Avec Bélanger, on renoue le fil coupé des générations. La liberté reprend sa place. Et, en compagnie de quelques autres, il crie, l’afficheur, que la liberté des peuples, c’est aussi la liberté.» Il cherchait des releveurs, sans doute. De nouvelles grandes gueules, réfléchies, mais prêtes à mordre. Je ne sais pas si ce sera Bélanger. Je ne sais pas s’il écrit encore, entre deux cours au secondaire. Mais si ce n’est pas lui, il en faudra. </p>
<p>Il en faudra. N’est-ce pas aussi ce que pressentait Félix Leclerc avec son <i>Chant d’un patriote</i>? «<i>Quelqu’un viendra finir ma guerre, peut-être votre fils, ainsi soit-il / Quelqu’un viendra gagner ma guerre, peut-être votre fils. Ainsi faut-il.</i>» (F. Leclerc)</p>
<p>En relisant <i>Poésitations…</i>, je suis tombé sur ces quelques vers qui m’ont réconcilié avec le départ de Falardeau, faisant sans doute écho à ce qu’il a pu vivre avant de mourir: «<i>je me sais mourant / mais je brandirai en signe d’adieu / un tabarnac / et mon poing d’homme / libre</i>» (p. 31, extrait de <i>Poing</i>).<br />Il y a ce qu’on choisit de retenir et ce qu’on se permet d’oublier. Les réactions ont été vives depuis la mort de Falardeau. Des encenseurs, et des détracteurs. Quelques individus ridicules ont voulu lui rendre la monnaie de sa pièce, répondant à la façon dont il avait accueilli la mort de Claude Ryan. Mais on ne s’improvise pas grande gueule comme ça. Le pastiche demeure plus souvent caricatural, sinon franchement ridicule.</p>
<p>Ceci n’était pas une chronique nécrologique. C’était une ode à ce qu’on garde en mémoire. J’aurais sans doute pu l’écrire autrement. J’aurais pu parler de Nelly Arcand. J’aurais pu parler de Ghislain Bouchard. J’aurais pu dire que chacun de ces départs, étrangement, c’est Facebook qui me les a annoncés, bien avant tous les médias traditionnels. Mais d’autres l’ont fait, bien avant, sans doute mieux que moi. J’ai préféré parler d’espoir, plus simplement. </p>
<p>Est-ce que j’ai encore de l’espoir? Je ne sais pas trop. La voix de Jim Corcoran sourd doucement de mon portable, me demandant de remplir son verre. Je comprends que «<i>C’est à moi de découvrir si j’en ai perdu un peu trop. Ou si ce que j’ai appris vaut aussi cher que ce que j’ai perdu.</i>» Oui, j’ai de l’espoir.</p>
<p>Je suis le fils d’une seule femme mais de plusieurs hommes. Surtout, comme tous ceux qui rêvent, j’ai d’innombrables fils, d’innombrables filles. Peut-être que tout ça ne sera pas vain.  </p>
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<p>Vous pouvez lire le blogue de Martin Bélanger, <a href="http://cogitoergoblogo.wordpress.com" target="_blank">Cogito ergo blogo </a><br /></p>