<p>Avec l’automne, la migration des oiseaux. On a beau dire, la flèche de leur départ donne le goût de les suivre. De tout laisser ici: la boue des flaques qui baignent les trottoirs, les prétentions de spécialiste de la littérature d’un maire qui tue le livre bien avant l’heure, le réveil d’un manoir monstre qui défigure le centre-ville, la guirlande obscène de toutes ces inconsciences sur lesquelles on s’habitue à fermer les yeux…</p><p>Quand on sent l’urgence de partir, tout devient exaspérant. Suffit d’avoir vécu un jour les moments qui précèdent une rupture pour en mesurer la véracité. Cette fois encore, moi, je resterai. C’est un choix que je réitère chaque jour. En amour comme dans la vie. </p><p>Oui, cette fois encore, je resterai. On s’attache à toutes sortes de petites choses quand on veut résister au départ. Je garderai les yeux dans l’eau de la rivière, à trouver belle la lumière horizontale du soleil qui se couche sous le drap marine des nuages, quand Chicoutimi, en face, est laquée d’un épais vernis orangé. Je continuerai mes déambulations solitaires dans la «nappe monde», parce que j’estime que je suis bien. Je ne suis pas loyal, encore moins fidèle. Juste bien. Pour l’instant.</p><p>Je ne me lancerai pas dans un long chapelet de flatteries régionalistes. Moi aussi, je suis las de ces étranges qui viennent, avec leurs gros sabots et une pleine brassée de flagorneries, chercher à nous vendre leur belle salade en nous berçant des clichés touristiques les plus élémentaires. Qu’on est donc accueillants! Qu’on est donc avenants! Qu’on a donc une belle façon! Qu’on n’est donc pas comme ailleurs! Et pourtant, les mêmes conférenciers à 25 piastres le tourniquet, les mêmes artistes qui se vendent en formule souper-concert – une table d’hôte contre les yeux de la tête – se tourneront ensuite vers une poignée de Gaspésiens, de Bas-Laurentiens, d’Abitibiens, pour vendre leur même salade, au même prix. Pensez tout de même pas qu’ils leur diront qu’ils ne sont pas des hôtes remarquables, eux aussi… </p><p>La vérité, c’est qu’on n’est pas mieux qu’ailleurs. Parce que si on l’était, ce n’est pas un quai d’escale qu’on aurait, mais un port de destination. Et si vraiment on était les meilleurs, on ne parlerait pas de faire un TGV entre Québec et Windsor: il commencerait sa course ici. Et si on offrait mieux ici, nos artistes n’iraient pas se perdre sans machette dans la jungle de Montréal, avançant selon le cas avec plus ou moins de succès: ce seraient des gars et des filles de la métropole, passionnés mais épuisés de devoir passer leur vie à travailler dans l’un des petits cafés de la Saint-Denis ou dans une boutique de la Sainte-Catherine, qui se bousculeraient au portillon pour venir créer chez nous. Ce serait tout le contraire de l’exode qui nous saigne.</p><p>En vérité, ce que propose la région ne surpasse pas ce qui se fait ailleurs. Je ne suis pas en train de me lamenter, c’est juste un constat. On n’offre ni mieux, ni plus beau. J’ai vu la Côte-Nord, ses bateaux de pêche, sa chicoutai; j’ai vu les falaises rouges de la baie des Chaleurs, le fleuve qui se retourne dans l’orage à Sainte-Anne-des-Monts, le sable crème de la péninsule acadienne, les hautes marées de la baie de Fundy, les feuillus et les vergers au nord-ouest de la métropole, les cratères de Black Lake et les gorges de Coaticook, Québec de la rive sud, Lévis de la rive nord, l’île d’Orléans au centre du monde, gorgée de pommes qu’on croque en fredonnant Contumace, et chaque fois tous ces gens, toujours invitants, les bras ouverts, prêts à me recevoir. </p><p>On est du ben bon monde. Comme partout au Québec. Il faut faire plus.</p><p>Aujourd’hui, j’ai de la peine. C’est pas l’automne qui fait ça, c’est pas de penser que l’hiver s’en vient. C’est pas non plus tous ces décès qui sont survenus. C’est parce qu’il y a des chaises vides autour de moi. Beaucoup de chaises vides. Et personne pour venir les occuper. </p><p>Je viens de feuilleter une recherche de Hill Strategies, publiée le 23 septembre dernier, Les Artistes dans les grandes villes du Canada, basé sur le recensement de 2006. Parmi les 93 grandes villes canadiennes visées par l’étude, 11 seulement auraient vu le nombre de leurs artistes diminuer entre 1991 et 2006. Et dans cette courte liste, Saguenay, dont la concentration d’artistes par rapport à la population active est de 0,3 % – contre une moyenne de 0,71 % à l’échelle provinciale –, se trouve en queue de peloton, comparée à 18 autres grandes villes du Québec. </p><p>Pour une cité qui vient de se faire accorder le titre de Capitale culturelle canadienne, faut avouer que le contraste laisse perplexe. Naïvement, j’avais cru que cette distinction était octroyée à des villes méritantes, pas à celles qui faisaient pitié.</p><p>Allons plus loin. Et si c’était l’une des causes de l’exode? Et si c’était ça qui manquait pour que la population ait envie de rester, et pour que les étranges viennent nous rejoindre, chez nous, pour se sentir aussi chez eux? Une faune d’artistes en santé, ayant les moyens de vivre – plutôt que de seulement survivre – et de laisser libre cours à leur imagination…</p><p>Je pense à ceux qui sont partis. Je vois le fantôme de leur absence sur la scène de la culture. <br />Et je me demande si un jour on comprendra. Pour l’heure, la campagne électorale municipale ne laisse rien présager de bon.</p>