Complètement Martel

Tousse au théâtre (Catatonie & Ubu Roi)

<p>Une semaine comme celle-là ne peut qu’être marquante. C’est comme ça quand on sort par deux fois d’un théâtre bouleversé, les bras ballants et la bouche bée, l’esprit en surchauffe avec l’envie de le partager.</p><p>Dire que j’ai bien failli manquer ça. J’étais sujet à quelques quintes de toux – qui n’étaient absolument pas estampillées du sceau de cette peste grippale dont tout le monde parle –, et s’il avait fallu que ça m’arrive dans la pénombre du théâtre, je crois que je me serais décomposé sur place. Je craignais qu’on me sorte de là à grands coups de pieds au cul: «Va-t-en, pouilleux, pestiféré! Va contaminer quelqu’un d’autre!» </p><p>Une fois bien assis, les mains sur les genoux, une pastille sur la langue et d’autres dans la poche de chemise, prêtes à suivre le même chemin, on continue d’espérer que le pire n’arrive pas. Puis la lumière se fait devant, éclairant le décor de cet univers qui se déploiera devant nos yeux pour une heure ou deux. Et on se remet de cette peur qu’on croyait insurmontable.<br /><br /><b>Les statues de chair<br /></b><br />Catatonie II. Une pièce qui m’effrayait. À quoi aurais-je droit si trois acteurs sur quatre incarnaient des personnages incapables de se mouvoir? Comment réussirait-on à garder mon attention pour la durée d’une représentation avec le spectacle de l’immobilité, de l’impuissance, de l’incapacité?</p><p>La réponse se moule sur les quatre comédiens participant à cette exploration théâtrale du corps. La performance des Vicky Côté, Martin Gagnon et Dany Lefrançois déstabilise: leur façon d’incarner ces personnages amorphes – les trois patients catatoniques kidnappés et séquestrés – est tout simplement bouleversante. Et tout au long de la pièce, devant cette démonstration de force, le spectateur, incapable de garder la même position sur sa chaise, comprendra à quel point le jeu de ces statues de chair est spectaculaire. À cela s’ajoute le travail irréprochable d’Émilie Gilbert Gagnon, méconnaissable – et fort convaincante – dans le rôle de Grâce Castonguay, épousant les formes et l’attitude d’une femme particulièrement renfermée.</p><p>La scénographie réaliste de cette nouvelle production du Théâtre CRI est particulièrement remarquable. Alors qu’elle nous a surtout habitués à une ligne épurée et ingénieuse, la compagnie y va cette fois d’un décor occultant la place de l’imaginaire du spectateur, préférant faire un clin d’œil à son intelligence par différents détails et procédés nuancés.</p><p>À la fin, certaines questions demeurent en suspens sur le plan de l’histoire racontée par la pièce. Pourquoi trois patients kidnappés plutôt qu’un seul, ou deux? Qu’est-ce qui a plongé Grâce Castonguay dans cette folie? Une femme si longtemps seule, qui converse même avec sa télé, n’aurait-elle pas eu plus à dire à ses trois invités? Difficile à croire. </p><p>La grande force de Catatonie II se situe ailleurs que dans l’histoire qu’elle raconte. Elle se trouve dans l’émotion partagée avec le public. L’intimité déployée sur la scène cruelle de la solitude de Grâce fait invariablement surgir chez le spectateur cette peur qui sommeille en chacun de nous: celle d’être au final seul au monde, enfermé dans la souffrance d’un quotidien que seulement le petit écran arrive à calmer, hypnotisant.</p><p>Un théâtre de l’émotion comme il s’en fait rarement.</p><p> </p><p><a href="http://www.voir.ca/blogs/popculture_saguenay/catatonie2.jpg"><img src="http://www.voir.ca/blogs/popculture_saguenay/catatonie2.jpg" border="0" height="408" width="597" alt="" /></a><br /></p><p><i>Martin Gagnon, Émilie Gilbert Gagnon, Dany Lefrançois et Vicky Côté, dans Catatonie II, présenté par le Théâtre CRI. Photo: Jean-François Caron.</i> <br /></p><p> </p><p><br /><b>Chair à canon<br /></b><br />Deux pièces la même semaine? Pourquoi pas? À la guerre comme à la guerre. Encore armé de pastilles, avec en plus une bouteille d’eau importée illégalement jusqu’à mon siège, j’espérais survivre à un nouveau spectacle. </p><p>Mais on ne survit pas à l’Ubu roi des Têtes Heureuses. Quand on s’en sort, la vie ne peut plus être la même. </p><p>C’est une pièce qu’on reçoit en pleine gueule dès les premiers instants, en partie par l’entremise des projections finement intégrées à la mise en scène. Une production dont on encaisse chaque scène comme des baffes. </p><p>D’abord, le travail des acteurs (exclusivement des hommes) est tout simplement remarquable, en particulier chez Christian Ouellet et Martin Giguère (respectivement Père et Mère Ubu), qui partagent tout sur scène avec une aisance désarmante.</p><p>Même si on est témoin de ce que l’humanité peut offrir de pire, même si on hait autant que cela est possible tout ce qu’incarne Christian Ouellet en donnant la vie au roi Ubu, la pièce, rythmée, arrive aussi… à nous faire rire. Pas seulement sourire. Rire. Bien plus que je ne l’aurais cru. Parmi les moments les plus drôles, on ne peut que souligner la performance chantée de Guillaume Ouellet (Bougrelas). Tout simplement inoubliable. Rodrigue Villeneuve peut se féliciter d’avoir exploité ce talent clownesque qu’on connaît au jeune comédien.</p><p>Il est sans doute déplorable qu’on perde parfois les paroles de certaines chansons entonnées en chœur, étouffées par la musique des instruments joués sur scène. Cette faiblesse est toutefois corrigée par la présence des textes de chansons dans le programme de la soirée. Et au-delà, un travail de maître qu’il ne faudrait absolument pas manquer.</p><p>Encore une fois – et plus que jamais, peut-être, mais je suis un peu jeune pour l’affirmer avec certitude –, le metteur en scène atteint la cible. Parce qu’au sortir de cette percutante représentation où pratiquement tout était à bonne dose, j’avais les idées claires et une certitude en tête: c’est ça que doit être le théâtre. </p><p>Cette semaine, ce n’est pas ma toux qui m’aura mis k.o. </p><p>C’est la première fois de ma vie que j’ai vraiment envie de retourner voir une pièce de théâtre.</p><p> </p><p><a href="http://www.voir.ca/blogs/popculture_saguenay/UbuRoi.jpg"><img src="http://www.voir.ca/blogs/popculture_saguenay/UbuRoi.jpg" border="0" height="396" width="595" alt="" /></a> </p><p><i>Martin Giguère, Christian Ouellet et Patrice Leblanc dans Ubu Roi, présenté par les Têtes Heureuses. Photo: Jean-François Caron.</i> <br /></p>