Complètement Martel

Les écrits restent

<p>Quand on passe sa vie à écrire, on se demande souvent jusqu’où portent les mots. Il y a ceux qui restent enfermés dans un calepin au fond d’un tiroir. Ceux qui sont flushés par mégarde quand on oublie de sauvegarder un document. Ceux qui, aussitôt publiés, traînent sur la table d’un café, avant de trouver le chemin du recyclage. Et les autres qu’on laisse filtrer sur le Web.</p><p>Le Parti québécois tenait un colloque, la fin de semaine du 21 novembre. J’ai suivi l’évolution des choses par l’entremise de Twitter, où des membres du PQ filtraient les discours. Les meilleures citations étaient répétées par l’un et par l’autre, me piochant le crâne avec insistance. </p><p>Parmi celles que je retiens, ces quelques mots de Maka Kotto: «Le rayonnement de la culture du Québec par le Web est ce qui assurera un avenir durable au sein de l’histoire. (Parce que) la culture, c’est ce qui nous permet de nous connaître, de nous reconnaître et de nous faire reconnaître.»<br />Il est vrai que les réseaux traditionnels de diffusion de la culture n’ont pas souvent favorisé le Québec. Et les nouveaux médias offrent à notre culture des possibilités de diffusion inédites. </p><p>Prenons l’exemple des littératures – ces mots qui s’écrivent au Québec, jusqu’où portent-ils? Tout le monde n’a pas droit à une reconnaissance comme celle dont profite Marie-Christine Bernard, dont le dernier roman, Mademoiselle Personne, vient de remporter le prix France-Québec, ce qui permettra à l’auteure de Larouche de faire une tournée en Europe – une belle façon d’accompagner ses mots dans leur voyage…</p><p>J’ai appelé Gilles Pellerin, il y a quelques jours. Il est cet auteur qui est (entre autres choses) cofondateur de la maison d’édition L’Instant même, longtemps consacrée à la publication de nouvelles littéraires. </p><p>Je l’avais rencontré il y a quelques années, un canon de rouge au poing, dans un petit théâtre de Lyon. J’y étais pour couvrir le premier Forum international des Caravanes francophones, auquel participait une délégation québécoise, dont la compagnie de théâtre saguenéenne Les Têtes Heureuses. Nous avions parlé francophonie, folklore, nation, épanouissement des peuples. Il m’avait alors invité à reprendre contact avec lui. Mais la vie étant ce qu’elle est, j’avais fini par oublier. </p><p>Puis cet été, alors que je cuisais sous le soleil de Québec en écoutant l’incessant (et poignant) Moulin à paroles, je l’ai vu apparaître sur la scène, échevelé, et engagé. Depuis, je cherchais un prétexte. Et quand on cherche un prétexte, on finit par le trouver.</p><p>Nous avons donc parlé de littérature québécoise, de la nécessité de la faire connaître non seulement dans nos chaumières, mais à travers le monde. Je ne suis pas le seul à me préoccuper de la portée des mots. Il y travaille constamment.</p><p>«De tous les arts, la littérature est probablement celle qui souffre le moins du phénomène des distances», m’a-t-il lancé, à l’autre bout du fil. C’est vrai. Essayez de faire voyager la murale de Jordi Bonet qui blinde le Grand Théâtre de Québec, juste pour voir. Et ce n’est pas demain que la Joconde viendra se promener au Saguenay…</p><p>Mais alors pourquoi notre littérature ne s’exporte-t-elle pas plus facilement? Ce n’est certainement pas une question de langue! Les Cowboys Fringants ne traduisent pas leurs tounes, et ça ne les empêche pas de faire swinguer la baquaisse en France. </p><p>Selon Pellerin, ce serait une question de marché. Un simple calcul lié à l’exportation de l’objet qu’est le livre: «On a un grand problème. Par rapport aux grands pays qui ont eu des empires, comme la France, ou la Belgique, mais surtout la France, en l’occurrence, qui contrôle la quasi-totalité de l’édition franco-européenne. Ils ont les vieux réseaux qui leur permettent d’envoyer des livres à Tunis, à Dakar, en Guadeloupe ou ailleurs. Ça fait partie de routes commerciales qui existent depuis des siècles. Nous, quand on veut y aller, à moins de conclure une entente de gré à gré, la situation risque de nous obliger à faire passer nos livres par Paris, pour ensuite aller à destination.» Un parcours qui augmente les coûts.</p><p>Toutefois, le salut de la littérature québécoise pourrait bien passer par l’édition numérique. Déjà, avec un site comme <a href="http://www.lelibraire.org" target="_blank">www.lelibraire.org</a>, on voit la littérature québécoise folâtrer avec la sacro-sainte littérature française sans rougir. Et bientôt, avec la multiplication des plateformes de diffusion de livres numériques, plus rien n’empêchera les universités des autres «petits pays» de la francophonie de découvrir de quelle littérature on se chauffe. Et qui sait, dans ces nouvelles relations qui s’établiront entre les anciennes colonies, peut-être nos littératures prendront-elles un nouvel envol, hors du nid de l’ancienne métropole qui protège ses acquis bec et ongles. </p><p>Il est primordial de faire en sorte que les écrits ne restent pas. Qu’ils voyagent. Qu’ils prennent le large. Pas comme une bouteille à la mer qui irait se perdre sur un continent de plastique flottant dans le Pacifique. </p><p>Plutôt comme des missives à longue portée. </p><p><a href="http://www.voir.ca/blogs/popculture_saguenay/gilles%20pellerin%20moulin2.jpg"><img src="http://www.voir.ca/blogs/popculture_saguenay/gilles%20pellerin%20moulin2.jpg" border="0" alt="" /></a><br /></p><p><b>Gilles Pellerin</b>, au <i>Moulin à paroles</i>. (crédit: Jean-François Caron)<br /></p>