<p>Dix jours avant Noël, j’avais l’esprit des Fêtes qui se laissait désirer. C’est toujours un peu le cas, mais cette année, c’était encore pire. Or, tout a changé en ouvrant la porte du magasin.</p><p>Nous étions partis sans les enfants pour une virée, main dans la main, comme ça n’arrive plus souvent depuis que nous avons chacun un petit monstre à surveiller. Lundi soir, à mi-chemin entre la ruée vers les boutiques des prévoyants et celle plus désespérée encore des retardataires, il n’y avait somme toute pas grand monde entre les rayons. Tant mieux.</p><p>Dans le portique humide et surchauffé de la grande surface où nous venions d’entrer, il tonnait un étrange bruit de cascade. Je n’ai compris ce que c’était que lorsque j’ai relevé la tête après avoir secoué la neige qui me collait aux bottes. Devant un chariot chargé de cartons, deux personnes, le sourire aux lèvres, remplissaient les machines à bonbons. C’est leur boulot.</p><p>Pendant que j’étais planté là à les regarder, me revenaient en mémoire, comme la salive nous vient en bouche, des souvenirs liés à ces petites distributrices rouges. Des bonbons qui goûtaient toujours la même chose, même si la couleur changeait. Des jouets un peu cheap qu’il ne fallait pas trop utiliser. Des bijoux que je rêvais de donner aux petites filles de ma classe. </p><p>Ma sœur avait réussi à se prendre la main dans le dévidoir d’une telle distributrice, un jour. Elle avait glissé sa menotte sous le petit panneau chromé avec un castor dessus – comme si ça coûtait juste cinq cennes –, convaincue de pouvoir faire sortir une gomme ou je ne sais plus quelle surprise. Elle l’avait enfournée si profondément qu’au moment de la retirer, elle s’était trouvée prise au piège. Pendant que je me moquais d’elle qui hurlait de panique, c’est ma grand-mère qui avait réussi à la déprendre, un peu trop tôt à mon goût. </p><p>Il n’y a pas plus méchant qu’un enfant, sans doute. </p><p>Devant l’offre culturelle, j’ai toujours le syndrome de la machine à bonbons. Si j’avais le moyen de tout avoir (et surtout le temps de tout voir), ce serait juste trop. Alors une fois de temps en temps, je mets mon petit 30 sous. En espérant que ça goûte bon. Parfois je suis déçu. D’autres fois, la poignée de bonbons est plus grosse que prévu. Ou alors je tombe sur une surprise que je n’attendais pas. <br />C’est une espèce de loterie, dans le fond. On ne sait jamais si cette fois ce sera la bonne. Mais comme c’est presque plus amusant de tourner la petite manivelle que de manger le bonbon, on veut toujours recommencer. </p><p>C’est comme ça, pour moi, la culture. Et c’est ce que nous apprend le facteur culturel, Henri-Louis Renaud, sujet du plus récent film de Pierre Demers (Le Facteur cultivé). L’important, c’est de goûter, pas d’aimer. </p><p>Tiens, ça me rappelle aussi Harry Potter. Vous savez, ces drôles de jujubes qui peuvent goûter à peu près n’importe quoi mais que les étudiants de Poudlard continuent de manger quand même…</p><p>En voyant les deux remplisseurs de machines, ça m’a fait rêver. Ils se promènent toute la journée dans un truck plein de bonbons. Ils commencent peut-être leur matinée dans un entrepôt débordant de toutes ces surprises. Ils jonglent tout le jour avec des petites bulles de plastique renfermant chacune un trésor innommable (pas juste dans le sens joli du terme, parfois ça ne ressemble à rien), ouvrent des cartons qui sentent le sucre en poudre et les parfums de gomme à mâcher. </p><p>Et imaginez! Ils ont la clé des machines.<br /><br /><b>Les trésors de l’ONF<br /></b><br />Il y a quelques semaines, l’Office national du film nous a donné la clé de ses machines. Il ne sera donc plus nécessaire d’attendre les Nouveautés de l’ONF au Saguenay pour voir enfin un peu de bon cinéma documentaire. </p><p>Il suffit d’aller sur le site Internet de l’organisme pour visionner des centaines de films. J’ai d’ailleurs plongé avec intérêt dans le bouleversant film de Manon Barbeau Les Enfants de Refus global – on m’en avait beaucoup parlé –, pour découvrir à quel point les signataires du célèbre manifeste ont été les fers de lance d’une révolution (même tranquille), et à quelles difficultés ont été exposés les proches des signataires. J’ai trouvé avec curiosité, aussi, un Riopelle complètement désabusé, pessimiste, le regard fuyant… Des trésors de témoignages qui valent tout l’or du monde. Et ne coûtent même pas 30 sous.</p><p>Le catalogue de films disponibles est particulièrement jubilatoire, avec entre autres Pierre Perrault, Jean Beaudin (dont le terrible La Bête lumineuse), Gilles Carle, Gilles Groulx, Claude Jutra et j’en passe… </p><p>Quelqu’un a ouvert la machine, pour vrai. Je pense bien que je vais passer une bonne partie du temps des Fêtes à la fouiller. J’espère que je ne resterai pas pris dedans.</p>