Complètement Martel

Un calife à la place de Hakim

Il y a ce brouillard qui épaissit. Ça sent drôle, vous ne trouvez pas? Personne ne sait ce que c’est, mais l’odeur est là. Vous revenez à vos préoccupations quotidiennes, un café, un journal.

Pour cette fois, retournez-le, et ouvrez-le par la fin. Sous la rubrique des petites annonces, cette semaine, on pourrait bien trouver une nouvelle offre d’emploi.
Imaginons.

Le plus grand diffuseur de spectacles au Saguenay-Lac-Saint-Jean (et le quatrième plus grand au Québec) est actuellement à la recherche d’un candidat pour occuper le poste de directeur général.

RESPONSABILITÉS

Relevant du conseil d’administration, le directeur général aura pour fonction de gérer la programmation régulière du diffuseur, d’évaluer les besoins de l’organisme et de débusquer les squelettes qui se cacheraient encore dans ses placards. De plus, il devra coordonner la construction d’une nouvelle salle de spectacle et/ou coordonner la rénovation d’une vieille baraque décrépie et/ou sortir quelque chose comme un éléphant blanc de son chapeau pour pallier rapidement le cruel manque de salles de concert à Saguenay.

QUALIFICATIONS REQUISES

La personne recherchée doit maîtriser la méthode de réanimation cardiorespiratoire et posséder son propre défibrillateur. Elle devra faire preuve d’une excellente maîtrise des mathématiques appliquées puisqu’elle sera amenée à trouver diverses solutions à des équations comportant un grand nombre de variables inconnues. Une expérience en rénovation après sinistre serait un atout de taille.

RÉMUNÉRATION

L’organisme offre un salaire concurrentiel en fonction des qualifications et de l’expérience acquise. S’il retrouve ses papiers comptables.

Inutile de faire parvenir un curriculum vitae. À Saguenay, il est généralement préférable d’être nommé par les autorités compétentes.

Il vaut mieux en rire, dit l’adage. J’imagine que ça s’applique ici aussi.

Le château de cartes

Plusieurs sont abasourdis de voir ce qui arrive du côté du Théâtre du Saguenay, même si ça se profilait déjà pour les plus intuitifs de la région – un électricien, que j’ai croisé au hasard de la vie il y a quelques semaines, m’avait parlé avec un peu d’ironie et beaucoup de lucidité de la question du cabaret urbain Opéra. Sa conclusion? Il trouvait ça «louche». Étrange, non? C’est sans doute ce qu’on appelle la sagesse populaire. Moi, je suis trop naïf pour penser à des choses comme ça.

Résumons les faits. Au moment d’écrire ces lignes, Le Quotidien vient de publier la nouvelle: le 18 janvier dernier, Robert Hakim a présenté sa démission au nouveau président du conseil d’administration du Théâtre du Saguenay, Me Pierre Mazurette, que ce dernier a acceptée illico, sans même avoir «posé la question sur les motifs» (dixit le président du C. A., cité par Radio-Canada). Un peu plus tôt, Le Quotidien avait rendu public qu’une enquête de la Sûreté municipale de Saguenay se tenait à propos de la gestion des fonds publics du Théâtre du Saguenay. On connaît aussi les difficultés financières du cabaret urbain Opéra, qui pourrait bien être déjà acculé à la faillite au moment où vous lirez ces lignes.

Avec Me Mazurette comme nouveau président du conseil d’administration, et avec le départ de Robert Hakim, j’ai entendu et lu toutes sortes de commentaires. Ça va du soupir de soulagement, suivi d’un «enfin» bien senti, jusqu’au cynisme partagé par plusieurs qui craignent de ne jamais connaître la vérité dans ce dossier. Je ne comprends pas. Est-ce qu’on aurait l’habitude de «dealer» avec des zones d’ombre dans la région?

Personnellement, j’ai une opinion moins tranchée. Malgré ses défauts, Hakim aime véritablement la culture, ou au moins, une partie de ce que la culture produit. Il sera sans doute difficile à remplacer.
Ce qui m’inquiète, ce n’est pas ce que découvrira ou non la Sûreté municipale. Je suis bien sûr curieux de savoir ce qui se tramait là, ou alors quelles erreurs ont été faites, de bonne foi ou non. On a compris que la création de l’Opéra, qui semblait de prime abord être une idée solide pour permettre la diffusion de spectacles destinés à un auditoire plus restreint, aura plutôt eu la stature d’un château de cartes. Qu’il aura suffi d’un souffle contraire, d’une mauvaise vibration. Et flop. 

Mais ce que je retiens surtout, c’est que tout ça, ce n’est pas bon pour la culture dans la région. Pas bon du tout. Même les détracteurs de Hakim devraient s’en rendre compte.

Avec deux salles de spectacle gravement hypothéquées (tous les sens du terme s’appliquent d’une manière ou d’une autre), avec l’atmosphère d’incertitude qui règne depuis plusieurs semaines et qui se densifie dangereusement depuis les derniers jours, on ne peut plus voir clair. Ni même la lumière qui pourrait se pointer le rayon au bout du tunnel.

Les questions cruciales n’ont rien à voir avec l’enquête policière. Ce sont plutôt celles qui auront une influence importante sur la vie culturelle de notre région au cours des prochaines années.

Qui deviendra calife à la place de Hakim? Qu’adviendra-t-il du Théâtre du Saguenay? Sera-t-il absorbé par la Ville de Saguenay?

Pourquoi ai-je ce frisson?