Complètement Martel

La culture dans la mire

Beaucoup de monde dans le hall de La Pulperie de Chicoutimi, ce matin-là. Et du beau monde à part ça. Trois écrans géants, des caméras partout, des dizaines d’intervenants, un peu plus de journalistes et de spectateurs. Tout un événement.

«Aujourd’hui, pour moi, c’est un couronnement!» a-t-il lancé avec grande fierté. Le maire Jean Tremblay se prenait-il pour un monarque? Mais non. Sans doute voulait-il plutôt signifier que les efforts de tous ceux qui ont travaillé à la programmation qu’on était sur le point de mettre en relief étaient enfin couronnés de succès.

Et alors je me suis demandé. Et s’il n’était que maladroit?

J’avais encore en tête ce discours pour le moins mitigé qui avait mis le feu au Salon du livre, l’année dernière, lorsqu’il avait fait l’apologie du livre électronique devant les auteurs et les éditeurs médusés, allant jusqu’à prédire la mort du livre traditionnel. Raterait-il seulement la cible quand il tente de montrer son intérêt pour la chose culturelle?

De retour à La Pulperie. D’un ton qu’on aurait pu confondre avec celui d’une menace si on ne lui avait pas accordé le bénéfice du doute, il a ensuite soutenu avec une verve remarquable: «À toutes les fois qu’on fait notre budget, vous êtes la cible la plus facile!», s’adressant sans distinction à tous les acteurs de la scène culturelle régionale presque entièrement rassemblée devant lui. Il se voulait pourtant rassurant. Cherchait à montrer qu’il était du bon bord. Enfin, du bord de la culture.

À l’entendre, il aurait toujours défendu les investissements dans «notre» secteur. Contre qui? L’histoire ne le dit pas. Et comme il n’a pas d’opposants connus au conseil de ville, on continue de s’interroger. Mais peu importe. Le résultat est le même. Lors du dernier budget, il aurait semble-t-il préféré augmenter les taxes plutôt que de couper la pointe de tarte du secteur culturel. Une preuve, sans doute, de son intérêt pour le travail de tous les artistes et artisans de la région. Pour être certain que ça rentre bien, il s’est empressé de répéter à l’auditoire: «Vous êtes la cible la plus facile!»

Les béni-oui-oui auront compris aussitôt qu’il est juste et bon pour les arts. Les plus sceptiques auront préféré entendre que Jean Tremblay a la culture dans sa mire. Puisqu’il est si facile de retirer les sommes qui lui sont octroyées. Or, moi qui suis pourtant d’un naturel sceptique, je commençais à croire de plus en plus à la thèse de la maladresse.

Saguenay, capitale culturelle

Il est clair que la Ville de Saguenay a travaillé fort pour nous offrir une programmation qui tient la route dans le cadre de Saguenay, capitale culturelle du Canada 2010. De concert avec plusieurs organismes (c’est un euphémisme), elle a contribué à une quarantaine d’événements qui se dérouleront au cours de l’année, en plus de ces incontournables qui étaient déjà inscrits à notre calendrier. Tout n’y a pas autant d’intérêt d’un point de vue artistique, mais comme on va dans toutes les directions, chacun devrait sans trop de difficulté y trouver son compte.

En plus de l’énergie consacrée à la demande de subvention qui s’est soldée par la désignation de Saguenay comme capitale culturelle canadienne, ainsi que tout le travail abattu pour la réalisation de la programmation finale, il faut noter l’enveloppe que la Ville glisse dans la poche de la culture. Car si le gouvernement fédéral promet jusqu’à 2 millions de dollars d’investissements ciblés cette année, la Ville prévoit tout de même investir jusqu’à 750 000 $. C’est bien.

En plus, on ne peut que saluer la philosophie du maire qui, si l’on en croit son discours, aurait soutenu dès le départ que l’argent du fédéral n’irait pas dans les poches d’artistes internationaux de renom – il a donné l’exemple de Céline Dion. Pfiou! On l’en remercie! -, mais qu’il irait dans les poches de nos artistes à nous. Il avait déjà fait ce commentaire lors de l’annonce du choix de Saguenay pour la désignation de capitale culturelle. Je me souviens qu’alors j’avais ressenti quelque inquiétude. Qui donc sont «nos artistes à nous»?

Force est d’admettre aujourd’hui que les organisateurs ont ratissé assez large, ne rejetant pas certaines pratiques moins populaires, allant de l’éveil à l’aquarelle aux arts contemporains, en passant par les expositions muséales et patrimoniales, les événements littéraires, scéniques, musicaux. Bref, toutes les déclinaisons du verbe créer.

J’étais presque convaincu lorsque le maire Tremblay a réussi à semer le doute à nouveau dans la terre à peine retournée de mon esprit. Paraît-il que certaines activités sauront perdurer, d’autres non. Que la Ville a parfois dit non et qu’elle avait raison. Et sur la foi de quels critères saurons-nous établir quels événements mériteront un avenir?

Puis ce flash dans ma tête. Christian Ouellet, incarnant Charles Varlet dans la plus récente production de La Rubrique (Charles et Berthin), se fâche contre Molière qui l’oblige à jouer une tragédie devant un public qui ne jure que par la comédie: «Quand on a le sens commun, on écrit pour les culs assis dans les sièges, non?»

J’espère que ce ne sera pas l’argument qui prévaudra lorsque viendra le temps de choisir ce qui, de l’un ou l’autre des 40 événements de la programmation de la capitale culturelle, saura passer l’épreuve du temps – et du budget.

Il y a des cibles si faciles à atteindre.