Complètement Martel

La culture bordée de nouilles

Il n’y a pas tous les jours de grandes controverses. Et je n’aurais pas toujours envie d’en faire grand cas. Lorsque mes semaines sont creuses, je m’assois simplement devant mon clavier comme si j’étais devant vous, me demandant ce que je pourrai bien encore vous raconter.

Alors j’essaie de vous séduire. De vous allumer. De vous désennuyer. Faute de pouvoir trouver mieux. Je n’en inventerai pas juste pour la forme, des controverses.

Il y a dans la région des gens qui semblent avoir une opinion sur à peu près tout. Qui profitent de toutes les occasions pour prendre position. On s’ennuierait, sans eux. C’est certain.

Mais quand je vois Russel Aurore Bouchard dénoncer le programme de Saguenay, capitale culturelle, je me sens surtout fatigué.

Le site Internet de Radio-Canada Saguenay-Lac-Saint-Jean rapportait, au début de la semaine, ses propos au sujet des difficultés financières de la Société historique du Saguenay, qui aurait besoin de 50 000 $ pour obtenir l’accréditation d’Archives nationales du Québec. Si on en croit l’article, pour Bouchard, la culture correspondrait à «l’expression libre et normale d’une société». Ça me va. Mais ce n’est certainement pas QUE ça. Et qu’un historien de sa trempe fasse fi de la multiplicité des définitions du mot culture me semble une triste aberration.

Car s’il y a un mot qui a pris toutes les formes avec le temps, c’est bien le mot culture. Véritable fourre-tout, certains arrivent même à y faire entrer le design et les modes de production du grille-pain.

Personnellement, je vis dans un monde où la culture correspond non seulement aux modes d’expression, mais à la création en elle-même, et tout ce qu’elle implique de production. Elle est un milieu excentré (fausse antithèse) qui a besoin d’investissements, en termes de subvention autant que d’énergie consacrée. C’est un univers complexe peuplé de gens passionnés. Qui ont aussi besoin de manger. Et qui auraient le droit de faire un peu d’argent, n’en déplaise à tous ceux qui tiennent à ce que l’authenticité passe par la pauvreté, le renoncement, le bénévolat ou la simplicité volontaire.

Or, si on réduit la culture à son acception anthropologique, désignant la façon dont s’exprime une société donnée, il y a un paquet d’artistes qui vont manger leurs croûtes sèches. Parce qu’alors on n’accorde pas de valeur à leur travail.

Je suis d’accord, c’est un peu gros, le titre de capitale culturelle pour Saguenay. J’ose espérer qu’il y a quelque part au Canada des villes qui soignent mieux leurs artistes et leurs organismes culturels. Mais une fumisterie, comme semble le penser Bouchard? Quand même pas. Une mascarade, tout au plus. Un gros show pétaradant, avec du faste et de la poudre aux yeux.

Et ce n’est pas si grave. Si le divertissement prend généralement trop de place dans ce qu’on considère comme culturel, il en fait quand même irrémédiablement partie. L’important est seulement de savoir doser. Et les organisateurs ont su doser, cette fois.

Russel Aurore prêche pour sa paroisse, c’est bien connu. Amoureux intransigeant de Chicoutimi, passionné d’histoire avec ses 66 livres publiés et ce fonds de recherche qu’il cumule depuis 37 ans, il a eu un apport indéniable dans la compréhension de ce que nous sommes et sa crédibilité n’est pas à mettre en doute. Le portrait réalisé par Philippe-David Gagné à son sujet pour l’émission Kilomètre zéro du 12 janvier (Télé-Québec) était d’ailleurs particulièrement intéressant, un incontournable pour ceux qui voudraient mieux connaître celui qui, selon ses propres mots, est «passé d’emmerdeur public à emmerdeuse» (un mot d’esprit que j’ai particulièrement apprécié).

Je me permets toutefois cette remarque. La Société historique du Saguenay a besoin d’argent, soit. Mais n’est-ce pas un peu contradictoire de dénoncer d’un côté la «municipalisation du musée de la Pulperie» et d’exiger de l’autre la contribution de la Ville dans la SHS?

Pour que Saguenay mérite le titre de capitale culturelle (peu importe ce que signifie ce titre), il a fallu beaucoup d’efforts de la part de la Ville, on ne peut certainement pas le nier. Et des investissements, bien sûr. Mais s’il manque de l’argent dans une poche, il ne faudrait pas s’en prendre à l’autre poche, qui en a si souvent manqué aussi.

S’il est vrai que «la culture a le cul large» dans cette histoire, comme je l’ai lu quelque part de la main d’une personne très impliquée dans le secteur culturel de la région (c’était un écrit non officiel, je tairai donc son nom), il reste que pour une fois, c’est elle qui l’a bordé de nouilles.

Et si tout n’est pas parfait dans le meilleur des mondes (le Candide de Voltaire n’a jamais trouvé sa place dans mes chroniques), il ne faut pas renier ce qui est accompli.