Nous avons été muets longtemps, jouant dans le silence, chacun pour soi. Et dans l’étouffoir du mutisme, nous avions oublié que suffoquer n’est pas naturel.
D’une société qui se perpétuait par la tradition orale, c’était sans doute plutôt surprenant. Mais avec la démocratisation de l’écriture et le développement de certaines technologies comme le cinéma, la radio et la télé, l’art du conte traditionnel est devenu une curiosité, avant de s’éteindre en même temps que plusieurs conteurs, qui ont refermé la porte sur la richesse de leur mémoire en quittant.
Heureusement, certains auteurs et ethnologues ont cru en la nécessité de garder des traces de notre mémoire collective. Ils ont parcouru le Québec, flairant le conte et la parlure jusque dans les chaumières de ceux qui avaient dans la tête une riche souvenance, ou dans les tiroirs des enregistrements d’époque. Les Luc Lacourcière, Marius Barbeau et Félix-Antoine Savard (le même qu’on a cité en anglais pendant le spectacle d’ouverture des Jeux olympiques. allez comprendre) ont alors travaillé au long collectage, créant ainsi les Archives de folklore et d’ethnologie de l’Université Laval.
Après des décennies de silence, quand dans les années 70 la nouvelle vague du nationalisme viendra asperger toutes les sphères de notre société, une poignée de passionnés s’intéresseront aux Archives. Alors très peu connus, travaillant à contre-courant, on sait aujourd’hui qui sont Michel Faubert, Alain Lamontagne, Jocelyn Bérubé.
Ils seront longtemps des êtres d’exception, marginaux dans leur pratique pourtant traditionnelle, parmi les rares à perpétuer le conte de tradition orale. Mais ils seront infatigables, ne s’en lasseront pas.
Il aura fallu attendre la fin des années 90 pour que le conte de tradition orale ne provoque à nouveau un certain engouement. Des veillées de contes organisées en contexte urbain (Les Dimanches du conte, au Sergent recruteur, à Montréal) ont permis à une petite communauté de conteurs de se créer. Et à un public de développer un sentiment d’appartenance. Jusqu’à ce que le concept essaime un peu partout au Québec, à mesure que les conteurs se dispersaient. Et les conteurs partaient en voyage avec dans leur petit bagage un nombre de plus en plus grand d’histoires à raconter en divers endroits où ils étaient accueillis.
Un soir qu’un conteur avait trouvé un public à La Pierre angulaire, un petit café de Saint-Élie-de-Caxton, un jeune homme écoutait avec attention. «C’est là que j’ai découvert les Michel Faubert, Alain Lamontagne et Jocelyn Bérubé, m’a raconté Fred Pellerin. Bientôt, j’ai eu vent des soirées du Sergent recruteur à Montréal. Assez de vent pour m’y rendre! Et pour me rendre compte qu’il y en avait, de mon âge, à tâter du jasage comme moi.»
Et le conte a continué son chemin partout au Québec. Jusqu’en France, entre autres dans la gibecière de Pellerin. Il y a même de plus en plus de conteurs professionnels, pour qui c’est devenu le métier de raconter des histoires. Devant ce phénomène, on a vu se créer le Regroupement du conte du Québec en 2003, rassemblant aujourd’hui 82 membres. Puis, le Conseil des arts et des lettres du Québec a reconnu le statut du conteur.
Après des décennies de silence et d’histoires oubliées, la parole a retrouvé droit de cité.
Cherche porteur de parole
Au Saguenay, nous sommes muets depuis longtemps, engoncés dans le silence, chacun pour soi. Et dans l’étouffoir du devoir de réserve imposé par certains employeurs, ou figés par la crainte de représailles, nous avons oublié que l’être humain est d’abord un être de paroles et de cris. N’est-ce pas ce que fait le nouveau-né avant de trouver le réconfort des bras maternels? Dès qu’il entre dans la vie, il crie son manque, hurle ce froid qu’il ne connaissait pas, vagit de peur et de détresse. Il se libère tout à la fois du silence même confortable qui le berçait jusque-là.
Parce que nous sommes ainsi. Le silence est confortable quand on n’a jamais parlé, quand on ne se souvient pas que la parole libère.
Or, ça change peut-être. En s’accumulant dans les poussières d’Harpocrate, les dossiers qui jusque-là passaient inaperçus commencent à susciter de véritables débats. Évaluation municipale. Déversements dans le Saguenay. Salle de spectacle. Municipalisation d’organismes indépendants. Fluoration de l’eau. L’opposition ne se cantonne plus dans les mêmes retranchements. Elle vrombit comme une rumeur.
Toujours le cycle continue. Et après le silence vient sourdre la parole. Même si elle est encore isolée, même si elle tarde à convaincre. On ne sait jamais quand elle tombera dans l’oreille de celui qui saura le mieux la porter.
Excellent papier, Jean-François.
Je souhaite moi aussi que notre milieu culturel retrouve sa voix, pour ne pas dire, sa voie…
Mon intervention d’hier était mon humble contribution pour cet idéal. http://bit.ly/9nd1jg
« D’ici là, sans repos ni halte, en communauté de sentiment avec les assoiffés d’un mieux être, sans crainte des longues échéances, dans l’encouragement ou la persécution, nous poursuivrons dans la joie notre sauvage besoin de libération. »
Refus Global – Paul-Émile Borduas