Complètement Martel

Quand les sourds écouteront

Le milieu culturel est en pleine déprime saisonnière. Cherche la lumière, mais se sent fatigué. La culture est en février elle aussi. Le froid s’est immiscé entre les artistes et la gent politique, encore.
On n’a pas fini de parler du conflit qui oppose le milieu culturel à l’administration Tremblay à propos de la faillite du Théâtre du Saguenay (TDS).

Comment est-ce possible que la même année où la ville est gratifiée du titre de capitale culturelle, elle se retrouve avec un pareil problème sur les bras? C’est à se demander si les élus n’ont pas décidé de profiter de cette grande mascarade pour faire le ménage dans les coulisses.

Inquiètes de ne pas trouver de réponses à leurs questions, et désireuses de voir la coopérative culturelle survivre malgré les difficultés financières éprouvées par le Théâtre du Saguenay au cours des dernières années, plus de 75 personnes se sont rassemblées samedi dernier pour chercher des solutions, créant même un comité de survie. Ce sont Lucien Frenette (D.G. du Conseil régional de la culture), Denise Lavoie (ex-directrice du Festival international des arts de la marionnette), Jocelyn Robert (D.G. de l’OSSLSJ), Marie-Josée Paradis et Véronique Beaulieu (anciennes membres du C.A. du TDS), Éric Dubois (membre du TDS), Pierre-Paul Legendre (membre de la coopérative) ainsi que Patrice Leblanc (comédien et instigateur du mouvement) qui ont obtenu le mandat.

La tâche ne sera pas facile pour eux. En entrevue avec Mélyssa Gagnon, du Quotidien, le maire Jean Tremblay a voulu donner une leçon de démocratie au tout nouveau comité de survie, arguant qu’il est dûment élu par la population. Contrairement aux membres du nouveau comité.

Or, pour véritablement parler de démocratie, il faut admettre que les idées, ça se discute. Et que l’opposition est non seulement possible, mais souvent souhaitable.

Tout comme la critique l’est pour la création, d’ailleurs. Ça ne fait pas toujours plaisir, mais c’est souvent nécessaire.

Mais pourquoi pas?

Pourquoi fait-on tant de raffut à l’idée d’une municipalisation des fonctions de diffuseur? D’autres villes le font, et le font bien. L’Auditorium d’Alma en est un exemple parlant. Le problème vient plutôt de la relation qu’entretient l’administration Tremblay avec le milieu de la culture. Le maire a si souvent fait la sourde oreille devant les requêtes et doléances du milieu, il ne faut pas se surprendre que les artistes craignent de ne pas être entendus s’il s’arroge le pouvoir décisionnel en ce qui a trait à la diffusion.

Et la façon dont le maire Tremblay a réagi en voyant créé un comité de survie ne rassurera personne.

Dossier poussiéreux

Le dossier traîne depuis plusieurs années, en fait. Le Théâtre du Saguenay peut être viable s’il est bien géré. Il l’a d’ailleurs été longtemps. Son chiffre d’affaires était de plus de 1,5 million en 2005, lorsque Louise Beaulieu a quitté ses fonctions de directrice du diffuseur, remplacée par Robert Hakim.

Dans un courriel, Jocelyn Robert s’interroge sur ce qui a pu se produire au cours des dernières années, émettant au passage une hypothèse: «Jusqu'en 2005, le Théâtre du Saguenay était une bonne entreprise, rentable, dont les opérations permettaient la diffusion d'un calendrier des arts de la scène important depuis plus de 30 ans, et ce, en respect d'une mission défendue par des professionnels… Cependant, avec la décision de la Ville de s'opposer à la vision de développement du TDS en 2005 et de ne pas respecter les souhaits et intérêts du milieu professionnel, la Ville a contribué directement à mettre en place une gouvernance inapte à défendre les vrais intérêts de la diffusion pour détourner les objectifs au profit du privé.»

Christiane Laforge, journaliste retraitée du Quotidien qui suit le dossier avec attention, analyse la situation sur son blogue (Orage sur océan). Elle pense aussi que ce sont des décisions politiques qui ont miné les capacités de la coopérative culturelle de Chicoutimi: «[Elle est un] fleuron malmené par des décisions politiques depuis que ses membres ont été spoliés de leur libre arbitre sur leur propre salle de spectacle et, maintenant, de leur désir de survivre.»

Pierre Demers, qu’on connaît comme un farouche opposant au maire, était présent à la réunion de samedi. Pour lui, la mise en faillite du TDS est nulle et non avenue: «Les membres d’un conseil d’administration ne peuvent pas dissoudre une coopérative. Il faut que ça vienne de la base, de ses membres. Mais les membres de la coopérative n’ont pas pu se prononcer.» On peut d’ailleurs lire dans le résumé de la rencontre, dont le texte est disponible sur Internet (trouvez le lien dans Pop culture Saguenay, sur www.voir.ca), que Pierre Mazurette, président du dernier C.A. du Théâtre du Saguenay, aurait «refusé de tenir une assemblée spéciale des membres, même si celle-ci avait été demandée par des membres de la corporation. Il a aussi refusé de travailler sur un éventuel plan de relance des opérations du TDS, ce qui aurait été, selon nous, la première chose à faire avant de convenir de la faillite».

Comme on ne débranche pas un mourant sans en parler à la famille, on ne peut dissoudre une coopérative sans convoquer ses membres.

La sourde oreille

Celui qui dirige une capitale culturelle arrivera-t-il encore à taire la rumeur? Combien de temps pourra-t-il faire la sourde oreille devant la volonté du milieu de prendre en main ses outils de diffusion?

Plutôt que de transformer le comité de survie du TDS en organisation terroriste, n’aurait-il pas été plus sage de rassurer les principaux intéressés quant au respect de la mission du Théâtre du Saguenay, voire à l’ouverture et à la transparence de la gestion d’une éventuelle corporation municipale de diffusion?

C’est sûr que ça paraît toujours mieux auprès de l’électorat de leur tenir tête, à ces artistes.