Complètement Martel

La manif des bâillonnés

Un nombre incalculable de courriels. Des appels téléphoniques à la chaîne. Deux rouleaux de duct tape gris achetés dans une grande quincaillerie. Nombre d’invitations déclinées, semble-t-il, par crainte de représailles. Malgré cela, 200 personnes rassemblées.

Volontairement bâillonnées avec le ruban adhésif, les manifestants ont défilé en silence pour trouver place devant le premier magistrat, entouré de ses conseillers. Lors de la période de questions prévue à l’ordre du jour, ils se sont simplement levés, ont investi le hall de l’hôtel de ville et, après avoir retiré ce qui gênait leur bouche, ont déclamé le Manifeste du citoyen d’abord.

Que signifie tout cela? Pour les uns, c’est déjà une victoire. Pour l’Autre, ça tient de l’enfantillage.

Mais qu’est-ce que ça vaut véritablement?

Le maire Tremblay a-t-il raison de balayer du revers de la main ce qui s’est passé?

Pour désamorcer la situation, notre maire a agi sur deux plans. D’abord, il a cherché à diminuer l’importance de la manifestation en définissant les participants comme ses opposants connus,

nommant même quelques-uns d’entre eux. Puis, il a réfuté l’idée même d’une crise, proposant que la volonté du mouvement se résumait à l’obtention de l’argent nécessaire pour renflouer les coffres du Théâtre du Saguenay (TDS). Voyons s’il a raison.

Le défilé des bâillonnés

Quelle importance devrait-on accorder à une telle manifestation? En termes de participation, avec près de 200 bâillonnés, on ne peut qu’admettre que c’était un événement capital. Si on tient compte de la population de chacune des villes de la comparaison, pour avoir une manifestation équivalente à Québec, il faudrait que 690 personnes se présentent devant Régis Labeaume. À Montréal, pour respecter les proportions, c’est 2168 personnes qu’il aurait fallu rassembler devant l’autre maire Tremblay. Je ne me souviens pas que ce soit déjà arrivé.

Et si en plus, comme le propose le Manifeste du citoyen d’abord – nous y reviendrons -, une partie de la population se sent intimidée et n’ose pas prendre la parole, cette proportion est encore plus impressionnante. La manifestation des bâillonnés n’aurait eu pour effet que de soulager ses participants du poids du silence qu’elle en aurait valu le coup.

Le Manifeste du citoyen d’abord

Évidemment, un manifeste sans signataires, ça tombe un peu à plat. D’autant plus qu’il n’est pas mal écrit, ce manifeste. On voudrait bien savoir à qui en revient le crédit, et quelles personnes crédibles acceptent de l’endosser. Mais accordons-lui tout de même notre attention.

Si, au départ, c’est le comité de travail du TDS qui a été l’instigateur de tout ce mouvement, il semble évident que la grogne s’est amplifiée par la suite, et que le mouvement a fini par se déployer bien au-delà. C’est ce que nous apprend le manifeste.

Dans le texte, le TDS n’est même jamais explicitement nommé. Et si on y comprend quelque référence au diffuseur déchu, ce n’est qu’en admettant que la Ville aurait justement «fait fi des règles et de l’éthique aux seules fins de contrôler» la coopérative.

Or, on trouve bien plus dans la déclaration commune qui nous intéresse. On dénonce: l’utilisation des fonds publics dans la défense des idéaux religieux du maire; sa volonté de fluorer l’eau potable; le dénigrement dont il a fait preuve à l’égard des sans-emploi; la manière dont il gère le pouvoir municipal – ce qui a d’ailleurs maintes fois été dénoncé dans les jugements prononcés lors de récents procès. Et cetera. Et cetera.

Dans le manifeste lu à 200 voix, au lieu de se présenter comme les défenseurs du TDS, on se définit comme des citoyens de Saguenay. «Tous les citoyens sont égaux», a-t-on déclamé avec une conviction quasi extatique. À mon sens, c’est justement cette attitude inclusive dont ont fait preuve les manifestants qui sera déterminante dans la portée du texte – et du geste.

La plus importante conséquence des récents événements, je mettrais ma main au feu que personne ne l’avait vue venir: plus jamais le maire ne pourra dire avec la même ferveur que ce qui importe, pour lui, c’est «le citoyen d’abord». Parce que ce slogan qui l’accompagne depuis des années et qui a fait sa renommée – slogan que le manifeste qualifie de «creux» – a dorénavant une nouvelle signification. Deux cents lecteurs ont pris possession de l’expression, ont développé un sentiment d’appartenance envers elle. Ils sont devenus, tous autant qu’ils sont, «le citoyen d’abord».

À la place de Jean Tremblay, je commencerais déjà à me chercher un nouveau slogan.

Au-delà des points de vue qui s’opposent, la manifestation des bâillonnés a eu de l’importance. Quoi qu’en dise le maire de Saguenay, c’est l’histoire qui est en train de s’écrire. Et si vous voulez mon avis, on n’a pas encore mis un point final à cette longue phrase commencée il y a plusieurs années.

 

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Cette superbe photo nous a gracieusement été fournie par le photographe Maxime Corneau / Stigmat Photo. Pour voir d'autres photos documentant l'événement, ou pour avoir un aperçu du travail du photographe, visitez maximecorneau.com