En pâture sur le WEB
Complètement Martel

En pâture sur le WEB

Le stress, la patate qui cogne, les bouffées de chaleur. Le voilà à bon port avec quelques minutes d’avance, certain de faire bonne impression avec sa chemise propre et son sourire le plus convaincant. Ce dont il ne se doute pas, c’est qu’il n’a aucune chance d’avoir ce poste.

Pas qu’il manque de compétences. Ni qu’il ne paraisse assez bien. Certainement pas que son sourire, finement sculpté plus tôt en se mirant dans le rétroviseur, ne soit assez charmant.

C’est plutôt que la personne qui l’accueille a aussi préparé son entrevue. Alors que l’interviewé fouillait dans le cyberespace pour en apprendre plus sur la compagnie, l’intervieweur faisait la même démarche pour mieux connaître le candidat. Et ses recherches furent particulièrement fructueuses.

En quelques clics, il en savait plus sur le pauvre diable que sur ses propres enfants.

Il a découvert: les allégeances politiques du jeune homme au sourire; ses coups de gueule à propos des nouvelles pratiques de récupération des déchets de la Ville; ses habitudes de consommation; le temps passé à jouer au poker sur Facebook; sa gueule de bois récente sur une plage du Mexique; la façon cavalière dont il a claqué la porte en démissionnant de son dernier emploi, à la suite d’un conflit avec son ancien patron.

Ce n’est pas une blague. Les employeurs aussi ont accès à la Toile. Et ils ne s’en privent pas.

Tous les moi

Sachant ça, je me suis demandé. Si je me cherchais une job aujourd’hui – on parle juste pour parler -, qu’est-ce qu’un éventuel employeur pourrait trouver sur mon compte en furetant dans le fouillis des Internet? J’ai googlé mon nom.

D’abord, nous sommes plusieurs Jean-François Caron à avoir laissé des traces sur le Web. Je ne vous apprendrai rien si j’affirme que je ne suis pas l’homme fort qui arrive à lever des voitures et qui bat des records canadiens au bench press. Désolé de vous décevoir, moi, les chars, je les conduis, et du bench press, je ne suis même pas certain de pouvoir vous expliquer ce que c’est.

Je ne suis pas non plus l’attaché politique de Sylvain Gaudreault, et je n’enseigne pas à l’Université du Québec à Chicoutimi. Je ne suis guère plus le dramaturge (La Nature même du continent, Saganesh, Aux hommes de bonne volonté), même si certaines librairies virtuelles ont tendance à mêler nos ouvrages. Aussi, je n’ai pas été le plus jeune conseiller municipal du Québec, et je ne suis pas un politicien du Nord-Pas de Calais. On évacue enfin le météorologue, l’artiste peintre, ainsi que le joueur de hockey de six pieds qui joue pour Baie-Comeau – je ne tiens même pas sur des patins, qu’est-ce que ce serait si je pesais 228 livres.

Je suis juste un journaliste, pigiste de surcroît, qui vit de ses mots.

J’insiste, parce que ça prendra toute son importance au cours des prochains paragraphes. Je vis de mes mots, des phrases que je construis et que j’agence dans des textes dont je suis le signataire.

Les traces des chroniqueurs

Si je me suis amusé comme un petit fou à lister mes paronymes, je n’ai pas oublié mon objectif: retracer la marque que j’ai laissée jusqu’à présent dans l’Internet. Évidemment, avec tous les billets écrits, toutes les critiques publiées, je me suis barré de bien des milieux. Je n’ai pas eu à chercher longtemps pour trouver les meilleures raisons qui pourraient être évoquées par d’éventuels employeurs pour me laisser croupir au chômage – si, bien sûr, j’étais au chômage.

Les chroniqueurs étaient déjà sur la corde raide lorsqu’ils ne publiaient que dans les journaux en papier, qui disparaissaient à peu près dans la semaine suivant leur impression. Avec le monstre d’archivage qu’est devenu le Web, ils laissent des traces plus indélébiles que jamais.

Chroniqueur, un métier plus dangereux que jamais.

Et les droits?

Finalement, j’ai surtout fait une découverte qui m’a scié les jambes en effectuant des recherches à mon propre sujet, quelque chose qui dépasse l’entendement. Souvent, des blogueurs ont reproduit des extraits de chroniques ou d’articles dans leur espace de diffusion. Ça passe toujours. On peut voir ça comme un hommage.

Mais quand un journal reproduit sans mon autorisation la totalité d’un article paru dans les pages de Voir, quelque chose ne va pas. C’est arrivé au cours des derniers mois – je viens de m’en rendre compte -, alors qu’un hebdomadaire de la Gaspésie, L’Écho de La Baie, affilié à Quebecor, a décidé d’offrir à ses lecteurs une entrevue que m’avait accordée l’auteure Marie-Christine Bernard, originaire de la Baie-des-Chaleurs. Je suis certainement en faveur d’une certaine dose de chauvinisme régional. Mais en quoi est-ce que ça annule les droits d’auteur?

Notre époque est pleine de contradictions. Alors que l’Occident dénonce le sort des artistes et des auteurs qui se font piller par des pirates chinois, nos propres écrits trouvent le même destin.

La propriété intellectuelle existe encore. Mais il faut se battre tous les jours pour la défendre.