D’abord nous venait l’odeur du tabac à pipe qu’il avait fumé dans la grande allée s’étirant entre l’église et la petite école. Puis on entendait sa toux caractéristique, et sa voix abyssale. Il venait pour nous encourager, poser quelques questions, éclaircir nos idées. Nous rassurer.
C’était un homme bon.
À moins que ce ne soit la première fois que vous lisiez cette chronique, vous le savez: j’ai tendance à être gris. Pas ivre (disons, pas tant que ça), mais toujours pris dans cette mélasse qui s’étire entre le blanc et le noir. Je n’arrive à peu près jamais à croire fermement à quoi que ce soit. Je suis de ceux qui pensent qu’il n’y a aucune vérité, que celle qu’on s’invente.
Mais j’envie ceux qui ont la foi. Parce qu’ils savent se donner totalement pour un principe – ou un dogme, appelez ça comme vous voulez. Ils espèrent le blanc, fuient le noir. C’est manichéen, mais ça fonctionne comme ça depuis l’aube des temps. Depuis l’invention de Dieu, oserais-je dire. Ou la création de l’Homme, c’est selon.
Il y a longtemps que je me considère athée. Mais je ne le suis peut-être pas tant que ça, dans le fond. Je continue d’avancer. Sans me poser de questions. Je me surprends à espérer, parfois. Et l’espoir, c’est ni plus ni moins qu’une prière. Qu’elle soit ou non adressée au ciel n’y change pas grand-chose.
Il y a près de 30 ans, j’ai goûté au fiel d’un homme mauvais. Je ne ferai pas ici la liste des sévices que j’ai endurés, mais j’y suis passé. Ce n’est pas un secret, ce n’est simplement pas quelque chose dont on parle, comme ça, à la va-comme-je-te-pousse. Plus chanceux que bien d’autres, j’ai eu droit au soutien de ma famille, alors je m’en suis plutôt bien sorti. Avec comme certitude qu’on est ce qu’on est parce qu’on a vécu ce qu’on a vécu.
Les bons diables
Si je vis bien, aujourd’hui, c’est aussi grâce à un religieux. Dans un camp de ressourcement tenu par une congrégation du Bas-du-Fleuve, j’ai trouvé auprès de cet homme une écoute et une compréhension peu communes, qui ne pouvaient trouver leur origine que dans une foi sincère et profonde. Je n’avais pas besoin de croire. Il s’en occupait pour nous deux.
Je n’ai pas l’intention de transformer cette chronique en un larmoyant témoignage – Dieu m’en garde, si un athée peut s’exprimer ainsi. Seulement, avec tout ce qui s’est produit récemment, j’ai cru bon rappeler qu’il ne faudrait peut-être pas jeter le curé avec l’eau du bain.
Je ne doute pas qu’il y ait eu des pédophiles au sein de l’Église, et que des actes barbares se soient littéralement systématisés dans certains milieux régis par les autorités religieuses. Nous savons tous que l’Église catholique a fait des erreurs. Surtout, je connais la douleur des milliers de victimes qui doivent non seulement briser le silence, mais être entendues. C’était important pour les orphelins de Duplessis, ce l’est pour les exploités de l’Église.
Or, il y a eu – il y a encore – des bons diables, dans l’Église.
Je me souviens de ce prêtre qui faisait briller ses breloques dans la paroisse où je vivais, enfant, de l’odeur de son tabac, de son sourire rassurant. Et je vous prie de me croire, sur parole et sans preuve: c’était un homme bon.
Je me souviens aussi de cet autre qui m’a fait bûcher du bois, hurler dans la forêt, et qui m’a confronté à un amour et à un respect qui ne demandaient rien en retour. Un baume pour l’âme.
Il y en a des milliers d’autres comme ceux-là.
L’habit ne fait pas.
La foi n’est pas toujours un spectacle, comme lorsqu’on tient à lui faire ouvrir les rideaux d’un conseil municipal. La vraie foi transforme les croyants à un tel point que c’est difficile à comprendre pour quiconque n’a jamais ressenti une telle extase. Et même si je n’arrive pas à me sentir moi-même convaincu, j’espère qu’on se souviendra que ceux qui croient ne sont pas tous des pervers.
Surtout, il ne faut pas oublier que la soutane n’est pas l’habit exclusif du pédophile. On en trouve dans tous les milieux, des pervers. Et ce qui nous répugne chez les prêtres devrait aussi nous faire réagir ailleurs. Combien de familles ont étouffé les pleurs de jeunes victimes dans le silence pour ne pas s’exposer à la rumeur populaire?
Trop. Et si on fustige l’Église, il faut aussi qu’on se regarde dans le blanc des yeux et qu’on prenne conscience que c’est un problème beaucoup plus vaste.
Dans Le Devoir de mardi dernier, Jean-Claude Leclerc posait deux questions qui pouvaient selon lui illustrer ce qui est aberrant dans la réaction du Vatican au cours des dernières semaines: «Quels grands-parents protégeraient un fils qui détruit ainsi leur petit-fils? Comment lui confieraient-ils la garde de leurs autres petits-enfants?»
Pourtant c’est arrivé. Pas chez moi. Mais tout autour. Il n’y a pas qu’à l’église qu’on se réfugie dans le silence. Or, dans ces situations, se taire, c’est mourir un peu.
VOUS N’ÊTES PAS OBLIGÉS DE ME CROIRE
Les gros titres des les médias, alimentent souvent les préjugés. En plus de nommer la personne qui a fait un crime ou un méfait, nous connaissons la situation de la personne. Exemples de titres :
Un assisté social accusé de fraude. Un prêtre accusé d’abus sexuel. Une famille d’accueil accusée de violence envers les enfants. Un policier accusé d’avoir conduit en état d’ébriété.
Et les exemples peuvent être nombreux dans le genre. Facile alors pour certains de généraliser. Les personnes prestataires de l’assistance sociale deviennent du coup, toutes des fraudeuses potentielles, les prêtres, tous des pédophiles en puissance, etc. À ce titre, je comprends monsieur Caron que vous défendiez le fait que les religieux ne sont pas tous mauvais ou des pervers, surtout si certains ont fait leur marque de manière positive dans votre parcours. Mais c’est aussi la même chose pour les enseignants, les fonctionnaires, les syndicalistes, les policiers, les artistes, les jeunes, les aînés, les politiciens, les femmes, les hommes, etc., etc.
Et il me semble qu’il ne faut pas mêler foi et religion à ce propos. Pas plus que nous devons comparer le silence d’une institution vs celui d’une famille, malgré que dans un cas comme dans l’autre, le silence peut briser un cycle infernal et à ce titre, il doit être brisé, mais pas nécessairement publiquement.
Pourquoi l’Église est-elle autant pointée dans le cas que vous mentionnez monsieur Caron? Parce que l’Église fait particulièrement la promotion de différentes valeurs et principes, en faisant grandement la morale à qui ne suit pas les commandements et les lois de l’église. Le jugement devient alors plus sévère envers cette instance, si celle-ci protège ses représentants ou fait silence.
L’Église est bien capable de se défendre. À travers l’histoire nous pouvons constater qu’elle n’a pas toujours pris les bons moyens pour conserver son pouvoir sur la vie d’une communauté, mais elle a aussi fait de bons coups.
Au-delà du fondement de vos propos, je me questionne surtout sur le fait que certains gros titres alimentent les préjugés et à ce niveau, il faut dénoncer cela ou corriger le tir, comme vous le faites à votre manière et selon votre vécu, concernant les religieux.
Et en passant, j’ai côtoyé aussi certains religieux qui étaient de bons diables et d’autres qui étaient des anges diaboliques. Ce n’est pas tant par ces rencontres que je nourris ma spiritualité. Je ne suis pas très religieuse, même si ça fait partie de ma culture et de mon éducation. Ma foi ne déplace pas les montagnes. Je doute, je me pose des questions, je tente de conserver un esprit critique, mais de donner tout de même un sens à ma vie et quelques pistes de réflexions à mes jeunes. Le problème que vous soulevez n’est pas à ce niveau.
Et je terminerai en posant la question suivante : « Est-ce que le silence brisé doit obligatoirement passer par une dénonciation publique et juridique, dans tous les cas? »
Le réel pardon recherché quand malheureusement on a été victime d’abus, ne vient pas d’un juge et de la justice. La paix intérieure ne vient pas de là non plus. Une démarche plus en profondeur et individuelle doit se faire assurément, sinon, c’est peine perdue.