Les grands lecteurs du SILQ
Il était tout jeune, un petit bout d’homme que je ne connaissais pas. Avec un manteau vert à capuchon. Il gambadait sur le trottoir, la main accrochée à celle d’une mère bien patiente, les lèvres entrouvertes sur le babil incessant de sa petite voix qui exigeait du rêve à n’en plus finir. Il voulait des livres, beaucoup de livres, qui parleraient de châteaux, mais pas juste des livres d’histoires, des explications aussi.
Il continuait de sautiller avec une aisance amusante, secouant l’épaule de la femme qui lui tenait fermement la menotte, mais trébuchait sans cesse au moment de prononcer le mot explications, s’y prenant à quatre ou cinq reprises pour arriver à se faire comprendre.
Nous sommes entrés au Centre des congrès de Québec au même moment, lui, sa mère et moi. Je me sentais tout petit dans la foule du Salon international du livre de Québec (SILQ). Le petit homme en vert ne semblait pas impressionné. Ça m’a fait sourire.
On apprend tellement jeune à apprivoiser le livre. Les plus grands lecteurs sont parfois les plus petits hommes.
Entre les pyramides
J’ai flâné toute la fin de semaine entre les pyramides de livres, à observer les gens, à discuter avec eux, à écouter leurs histoires. J’ai vu des milliers de personnes passer, s’acheter des milliers de livres.
Évidemment, j’étais déjà allé dans un Salon du livre, à plusieurs reprises, même à celui de Québec. J’y suis passé, comme d’autres, pour remplir un rayon de ma bibliothèque, acheter quelques surprises aux enfants, même participer à quelque activité en tant que journaliste.
Or, pour la première fois, j’ai vraiment pris le temps. Le temps d’errer, de rencontrer, de parler, d’écouter. D’observer, surtout. Un lecteur aux multiples visages, fort d’une expérience insoupçonnable du livre.
J’ai aimé voir tous ces passionnés aux jambes lourdes, impatients de s’adonner à la lecture de leur nouvelle acquisition, s’asseoir sur un banc au milieu de l’allée pour lire leur livre sitôt acheté. Ils s’enfermaient dans un silence très relatif, bercés par le bruissement sourd de la rumeur, imperturbables malgré la spirale du va-et-vient incessant autour d’eux.
Ce bien-être au moment de pénétrer une histoire nouvelle, je le comprends.
Au pied des monuments
Comme la plupart des gens qui évoluaient autour de moi, j’ai aimé voir en personne des écrivains que j’estime. Je suis toujours impressionnable devant un charismatique Dany Laferrière, une Janette Bertrand encore tellement belle, une Francine Ruel avenante et passionnée, une discrète Kim Thuy, une incomparable Marie Christine Bernard.
Voir ces autres auteurs aussi, l’air un peu perdu, voire hébété, se précipitant vers un stand qu’ils ne semblaient pas pouvoir trouver dans le labyrinthe livresque du Salon, attendus par un éditeur et peut-être une file de lecteurs. Quel spectacle fascinant.
Je serais resté là à les observer encore longtemps. J’attends déjà le prochain Salon.
Ébénistes des mots
J’avais toujours été un peu sceptique devant l’attitude de certains écrivains qui semblaient vouloir à tout prix vendre leurs livres. Comme d’autres, je croyais que c’était le symptôme d’un ego surdimensionné. Or, au contact de nombreux auteurs, j’ai décelé une réalité tout autre.
Car chaque livre vendu est déjà la preuve d’une amorce réussie. C’est un lecteur séduit par le flirt discret d’une couverture, par quelques bribes lues au revers ou sur la page du livre ouvert au hasard. Quelle belle expérience.
Et si je n’avais pas été convaincu, Marie Christine Bernard, toujours si convaincante, aurait su le faire: «Ce n’est pas une ambition malsaine d’avoir envie de gagner des droits d’auteur, de vouloir vendre des livres. Écrire un livre, c’est beaucoup de travail. Ce n’est pas un passe-temps. Si on était des ébénistes et qu’on faisait des chaises, on les mettrait en vitrine, nos chaises. On voudrait les vendre.»
Plume fontaine… de jouvence
Cette visite au SILQ m’a énormément rassuré sur l’avenir du livre. Je l’ai vu se donner en spectacle, proposer ses vedettes. J’ai vu la foule qu’il arrive encore à soulever. Dire que c’est le livre qui inspire un tel engouement, qui attire encore les foules.
J’ai découvert une communauté de lecteurs passionnés. La lecture, comme l’écriture, est souvent vécue comme une expérience très solitaire, mais chacun fait partie d’une même chaîne. Et cette chaîne ne déraillera pas tant que tous les maillons seront soudés par une passion aussi solide.
Ce n’est qu’une question d’émotion, ça ne se vérifiera pas en termes de ventes de livres ou d’ouverture de marchés. Mais j’ai maintenant la ferme conviction que le livre survivra à tous les iPad et les eBooks du monde – ce qui n’enlève rien à ces nouveaux gadgets, remarquez.
Je ne crois pas que le livre soit sacré – surtout pas! Le jour où le livre sera vraiment considéré comme tel, il disparaîtra sous les mêmes poussières que toutes les autres bondieuseries. Il n’en est pas encore là.
Tant qu’un enfant au manteau vert pourra gambader avec en main ses nouveaux livres, au risque de peut-être les échapper sur le trottoir. il survivra.
Il me semble que le livre n’a jamais été aussi jeune. Peut-être s’écrit-il avec une plume fontaine. de jouvence.