Quand on passe à la caisse, dans cette ville, il faut toujours dire bonjour. Pas pour être poli. Parce que c’est la façon d’affirmer à la personne qui se trouve en face de soi: «Je suis francophone. Adresse-toi à moi en français, s’il te plaît. Si tu en es capable.»
Toute la fin de semaine, je me suis fait répondre en anglais. À l’hôtel, au restaurant, à l’épicerie, à la Grande Bibliothèque, au poste d’essence. Partout. J’ai donc fini par trouver cette solution.
Dire bonjour, à Montréal, ça évite les malentendus.
Samedi matin, je me suis fait réveiller par le grondement sourd des avions. De l’hôtel où nous étions descendus, nous pouvions voir le ventre blanc de ces mastodontes qui s’arrachaient du sol dans un tonnerre de gémissements gutturaux. Les enfants avaient ouvert les lourds rideaux opaques de la fenêtre qui donnait sur l’aéroport Pierre-Elliott-Trudeau, et s’extasiaient devant ce spectacle gratuit – les choses qui ne coûtent rien sont rares dans la métropole, aussi nous en profitions tous à souhait.
J’étais moi-même impressionné, je l’avoue. On est toujours un petit gars devant un avion qui prend son envol.
Notre premier rendez-vous de la journée se trouvait à la Grande Bibliothèque, un immense monument de verre érigé au nom du livre et de toutes les littératures. Pour arriver au centre-ville, une autoroute déprimante soumise aux ondées d’une averse drue. Des kilomètres de laideur. Chez nous, même le boulevard Talbot, sans doute le plus laid de la région, est rattrapé par le paysage lorsqu’on voit poindre les monts Valin à son extrémité. On s’habitue à la beauté qui nous entoure, mais elle vient rapidement à nous manquer quand on ne l’a plus sous les yeux.
À l’entrée de l’institution, j’ai eu droit au sourire édenté d’un homme qui étirait désespérément la durée de vie de son mégot, perdu dans le fouillis de sa barbe folle. La main dont il m’a tendu la paume avait le teint ocre d’une insuffisance hépatique. Pauvre diable.
Je suis probablement trop sensible pour vivre à Montréal.
Comme près de cinq millions de visiteurs cette année, nous avons passé le seuil de l’édifice de verre qui vient de célébrer son cinquième anniversaire – et dont la transparence devrait peut-être inspirer nos élus.
Et comme plus tôt ce jour-là, voilà que j’étais impressionné. C’est près de 60 000 visiteurs par semaine qui passent par la même porte. Ce serait même la bibliothèque la plus achalandée de toute la francophonie. Et qu’est-ce qui suscite cet engouement? Des livres. Juste ça. Des livres.
Mais peut-être y a-t-il un autre facteur à noter. Ce ne sont pas seulement les livres, c’est aussi leur environnement. Un milieu agréable, facile d’accès, inspirant. Quand c’est neuf, bien pensé, quand on voit grand et qu’on prend les moyens pour y arriver, les résultats peuvent surpasser nos attentes.
Montréal sous la pluie, c’est d’une tristesse inouïe. Les badauds pressés se laissent détremper sur les trottoirs qui dégoulinent dans les rues sales. Nous avons arpenté la rue Saint-Denis pour manger dans un petit restaurant japonais. Puis, destination le Belgo, un immeuble renfermant un nombre impressionnant de galeries d’art – presque un pèlerinage pour notre famille, un rendez-vous incontournable à chacune de nos visites dans la métropole.
Devant la Place des Arts, on a éventré la Sainte-Catherine. Des travaux importants sont en cours – on commencera sous peu la construction d’une salle de concert destinée à l’Orchestre symphonique de Montréal. Un joyau du projet du Quartier des spectacles. «Comme on y croit collectivement, c’est un vrai moteur de développement!» proclame le narrateur d’une vidéo promotionnelle diffusée sur le Web.
C’est cet esprit d’ouverture, cette vision inspirée qui devraient éclairer notre choix lorsque nous serons conviés, le 6 juin prochain, à nous prononcer à propos de la construction d’une nouvelle salle de spectacle à Saguenay.
Nous n’avons pas les moyens ni les besoins de la métropole. Mais nous avons le droit d’exiger plus. Le monde n’est plus assez porté par le rêve.
On l’oublie trop souvent, mais les chiffres ne sont que très accessoires dans tout ce débat. De toute façon, on leur a fait dire le blanc et son contraire, aux chiffres: difficile de leur apporter une quelconque crédibilité dans ce contexte.
Ce qui importe vraiment, c’est notre fierté. Ce qui importe, c’est d’y croire collectivement. Et alors, c’est possible.
Ici, même quand il pleut, ce n’est pas triste.
Ici, la beauté ne me manque jamais.
Ici, on me répond en français.
Ici, c’est chez moi. Je veux ce qu’il y a de meilleur, rien de moins.
Évidemment que les chifres ont très peu à voir dans ce débat autour d’une salle de spectacle de qualité. Par contre la question du référendum ,qui n’en sera pas un, laisse encore présager le pire; la menace d’une augmentation de taxes galopante pour les « citoyens ».
Le maire est très porté sur les projets de développement sportif. Il y voit là plus de retombées économiques par le nombre de nuitées qui augmentent, que par les frais reliés à l’entretien d’une luxueuse salle de spectacle.
Espérons que la consultation populaire éveille certains esprits endormis…
Je vous comprends, Jean-François, mais je ne suis pas d’accord. J’ai déjà arpenté Chicoutimi en vélo en revenant de faire la vélo-route des bleuets. Je dis bien « Chicoutimi » et pas le nom de sa région, le Saguenay, une sottise inventée par Harel et sa lubie des fusions.
C’était pas mal ceinturée d’autoroutes,en allant vers Jonquière, et faire du vélo était aussi dangereux que sur la 112 ,de récente et sinistre mémoire.
J’aime ma ville, comme vous la vôtre, parce qu’elle est dépeignée, revêche et de fréquentation difficile.Le contraire de Québec, impeccablement peignée, le lieu parfait pour aller s’embaûmer l’intelligence…
Mais la cité des spectacles, j’aime pas. Parce que ça détourne les esprits spécifiques des quartiers de ma ville vers son centre sans âme et sans autre appartenance que celui du cash et de ses patronneux, pour en faire une soupe spectaculaire( justement!), mais très chère et sans saveur. Et surtout sans mémoire des lieux. Un trou de plus dans ma ville, qui n’en peut plus de les remplir.
Si je le pouvais, l’argent pour cette nouvelle salle à Montréal, c’est vers Chicoutimi, Trois-Rivières, Rimouski, enfin, vers les régions que je l’investirais, et non l’inverse. L’âme de notre peuple y trouve encore sa source première, et ce n’est pas en s’exilant à Montréal qu’on lui assurera un brillant avenir. C’est plutôt une désertification culturelle suicidaire qui s’installe ici, où la parole pour dire le pays se perd dans un océan de mots creux et de chanteurs tonitruants comme des klaxons de pompiers.
Enfin, Montréal n’est pas triste sous la pluie, bien au contraire. Une bonne fois, quand vous viendrez à Montréal, je vous amènerai marcher sur le Mont-Royal. Quand il pleut, ce lieu débarrasse `la ville de tout le métal et l’asphalte défoncé qui lui colle à la peau. Et plus on monte, plus le silence s’approche de vous. Cette montagne en plein coeur de Montréal, c’est comme un corps humain. La ville en bas, c’est ses jambes,c’est son ventre, ses tripes. La montagne en haut, au milieu, son cerveau, sa belle tête, toujours verte, toujours jeune au joli mois de mai…