Voter, c’est acheter
Pour nous convaincre de consommer de façon plus responsable, on nous a répété depuis plusieurs années la même marotte: acheter, c’est voter. La première fois qu’on l’entend, celle-là, on la trouve brillante. Puis, on finit par la trouver redondante.
Ça n’empêche pas que c’est vrai. Acheter – que ce soit ou non un produit culturel -, c’est en même temps encourager le vendeur, le producteur, et peut-être le réseau, si l’achat est fait dans un point de service qui est en même temps le maillon d’une grande chaîne s’adonnant à l’intégration verticale.
Il faut aussi admettre que l’argument a une portée réelle. Il responsabilise. Chaque petit geste devient important.
La sagesse populaire disait encore, il n’y a pas si longtemps, que «c’est avec des cennes qu’on fait des piastres». Eh bien voilà, même un achat de quelques sous peut faire la différence, voire contribuer à la richesse de celui qu’on encourage. Parce qu’avec nos cennes, il fait des piastres. Et quand on achète quelque chose de vraiment pas cher, eh bien, on a ce pour quoi on a payé. Ni plus, ni moins.
Nouveau principe
Depuis quelque temps, on comprend mieux un autre principe – en fait, c’est littéralement en train de nous péter dans le front.
Voter, c’est acheter.
Quand on a élu un gouvernement conservateur, même s’il est minoritaire – c’est encore heureux -, il faut bien s’attendre à ce qu’il gouverne en suivant des principes conservateurs. Parce qu’après la pluie le beau temps. Et parce que la nuit suit le jour. Et parce que 1 plus 1 égale toujours 2. Et que le fruit ne tombe jamais loin de l’arbre.
Qu’on ne se surprenne pas, donc, que la droite morale fasse des acrobaties à la une des journaux comme à la colline du Parlement ou devant les cliniques d’avortement. Non plus qu’on se remette à parler d’euthanasie, voire de peine de mort. Quand nous avons voté pour des bleus, nous avons acheté leur discours.
En fait, on se retrouve avec ce pour quoi on a voté. Ni plus, ni moins.
Guider vers la droite
Pour le plaisir et pour réfléchir, voici le Parfait Petit Manuel pour recriminaliser l’avortement en quatre étapes faciles.
1 – Voter
D’abord, vous élisez un candidat conservateur. Je sais, ce n’est pas de bon ton. Le meilleur moyen pour vous prémunir contre le sentiment d’exclusion qui pourrait en découler est de prévoir comment vous pourrez vous justifier de l’avoir fait.
Pas évident, je vous l’accorde. Si vous êtes chanceux, votre candidat conservateur aura été impliqué dans votre milieu, et vous pourrez toujours vous excuser d’avoir voté pour quelqu’un plutôt que pour un parti.
Mais ce que vous devez savoir, surtout, c’est que de toute façon, vous n’êtes pas obligé d’en parler. Faites comme la plupart des gens, et feignez l’ignorance. Il suffit de demander à gauche et à droite, mais surtout à gauche, qui peut bien voter pour le Parti conservateur. Personne ne sait ce qui se passe derrière l’isoloir.
2 – S’asseoir sur un consensus
Une fois que vous avez un élu conservateur qui rutile du haut de son nouveau statut, vous vous assoyez confortablement avec lui sur un apparent consensus. Vous laissez votre dévoué député (qui sera sans doute ministre de quelque chose, faute d’avoir assez de députés élus au Québec) répéter à qui veut bien l’entendre que c’est une évidence, que personne ne veut débattre de l’avortement, qu’il y a un consensus au Canada. Ce genre de chose.
Alors, prenez votre mal en patience. Ne vous fiez pas aux apparences. Votre élu sait ce qu’il fait – vous lui avez d’ailleurs accordé votre vote dans cette optique. En fait, il agit comme ce type qui joue dans les tisons avec une branche en disant «il n’y a pas le feu». Il n’en a pas l’air, mais il est en train d’attiser la braise.
Parce qu’il sait qu’il n’y a jamais eu de véritable consensus social ou politique à ce sujet, sinon celui intervenu entre les juges de la Cour suprême, en 1988, qui invalidait par un jugement l’article 251 du Code criminel – celui qui, justement, criminalisait l’avortement.
Il sait aussi que le Parlement peut encore changer la donne. Par exemple, en reconnaissant des droits au fotus. En 1991, le gouvernement (conservateur) de Mulroney n’avait pas réussi à le faire. Mais la loi C-484, que le gouvernement Harper a réussi à faire adopter en l’absence de plusieurs députés libéraux, accorde un statut juridique au fotus, qui peut dorénavant être considéré comme «victime d’actes criminels». Voilà une bonne chose de faite. Vous approchez de votre but.
3 – Débattre
Donc, votre député sait qu’il n’y a jamais eu de consensus. Et il sait qu’en affirmant le contraire, il incitera les mouvements pro-vie à se faire entendre. Un cardinal quelconque, allumé comme la mèche d’un feu d’artifice, se mettra à pétarader un discours rétrograde jusqu’à l’explosion finale, lorsqu’il échappera que même en cas de viol, l’avortement est un crime.
Pleines pages de journaux, ça tournera aussi en boucle dans les réseaux d’information. Les réactions seront vives et nombreuses, on tirera des arguments dans tous les sens, bons ou moins bons.
Peu importe. Une autre étape est passée.
4 – Retour à la chambre
On ne parle pas de la chambre à coucher, ici, mais de la chambre des communes. C’est là que votre gentil député, ministre par dépit, entrera de nouveau dans le portrait. Encouragé par la grogne populaire, il pourra enfin remettre la question de la criminalisation de l’avortement à l’ordre du jour de son agenda, très ouvertement. Parce qu’alors, l’évidence, ce sera qu’il n’y a pas de consensus.
Déjà, ce sera presque chose faite.
Et qui sait, si vous avez suivi toutes les étapes de ce petit guide, vous aurez peut-être gagné votre ciel. Où vous festoierez avec les cardinaux allumés, les députés enflammés.
Mais ce sera sans moi.