Complètement Martel

De la parole aux actes – coup de théâtre

On s’assoit dans l’ambiance feutrée et le calme brouhaha du chuchotement des spectateurs. À peine le temps de retirer chapeau et veste, et de s’installer pour être à l’aise sur un siège pas toujours confortable, que déjà les rideaux s’ouvrent.

Si on est chanceux, le type à côté ne sent pas l’ail et ne passe pas son temps à roter un repas trop bien arrosé. Mais même dans ce cas, parfois, le spectacle réussit son effet. On embarque. Jusqu’à ce que le rideau se referme.

Les gens n’ont aucune idée de la difficulté que représente l’entreprise hasardeuse de l’écriture théâtrale. Même que, étrangement, plus la magie opère, moins l’opération semble délicate.

Je dis «les gens», mais je ne reproche rien à personne. J’en suis. J’ai longtemps cru que ce serait facile d’écrire une pièce. Je suis encore jeune et naïf. Et faillible, ça va de soi.

Je me disais: un jour, j’écrirai une pièce qui parlera de ceci et de cela. J’ai même imaginé des personnages, des situations, des motifs. Jusque-là, ce n’est pas sorcier. Je l’ai fait souvent dans ce que j’ai écrit, même dans cette chronique. Mais voilà, passer de la parole aux actes, c’est autre chose. Écrire un dialogue soutenu de dizaines de pages peut être un défi de taille. Parce qu’alors, il faut que les paroles contiennent tout. Excepté l’insignifiance du quotidien, le ridicule de la routine, l’absurde de ce qui devrait demeurer non dit.

«Quand est-ce que tu nous écris du théâtre?» m’a demandé Vicky Côté au cours d’une longue entrevue. Écrire du théâtre. Comme si ça allait de soi. Facile à dire pour quelqu’un qui ne vit à peu près que pour ça, qui réussit à créer un nouveau spectacle chaque année.

Faire son théâtre

Au moment où elle m’a posé la question, j’ai revu une pile de projets s’entasser dans le fouillis d’un tiroir. Tellement de pièces avortées, qui n’auraient jamais su vivre. Je me demande pourquoi j’ai tant essayé. Il me semble clair aujourd’hui que c’est une tâche trop ardue pour l’expérience que j’en ai.
Ça changera peut-être – je l’ai déjà fait une fois, dans le cadre d’un projet de mise en scène mené par Sara Moisan, mais il me semble encore aujourd’hui qu’il ne s’agissait pas vraiment d’un texte de théâtre. Tout au plus un long poème.

Puis j’ai pensé à Martin Giguère, qui pourrait bien ne faire que ça dans la vie, écrire du théâtre, et qui ne verrait jamais le bout de son inspiration, si on en croit la richesse de son parcours.

J’ai aussi eu une pensée pour Dario Larouche, qui se trouve actuellement en plein processus de création. Au moment même où il travaillait à L’Assemblée des femmes, qu’il présentera sous la jupe du 100 Masques au cours de l’été, il entamait un nouveau projet d’écriture, sur lequel il dit ne pas pouvoir donner beaucoup de détails pour l’instant. Mais dans son blogue, il résume la difficulté à laquelle se trouve confronté un dramaturge qui envisage avec rigueur son travail d’écriture:

«Après avoir arrêté d'écrire des dialogues de théâtre depuis quelques années, il m'est difficile de retrouver un élan dramatique alors que je suis attelé à une telle tâche… Je suis rouillé, et de l'imagination, et de la rhétorique! Je peine à retrouver le rythme et la respiration de la phrase, l'image du verbe, la sonorité du mot. Et dire que c'est, pour certains, comme la bicyclette…» (lesclapotisdunyoyo2.blogspot.com, 22 mai 2010)

Comme la bicyclette. Suffit de s’embarquer, de donner quelques impulsions et de garder l’équilibre. Un jeu d’enfant.

Pour certains auteurs, c’est l’écriture sous toutes ses formes qui donne l’impression d’être aussi facile que de tenir sur un vélo. Je pense entre autres à Marie Christine Bernard qui semble pouvoir tout écrire. Du roman à la nouvelle, en passant par la poésie et la littérature érotique, on croirait que cette auteure ne manque jamais de ressources.

Elle s’essaie d’ailleurs actuellement à l’écriture d’une pièce de théâtre pour le compte du CRI – qui avait réussi, rappelons-le, à faire une adaptation fort intéressante du roman Parents et amis sont invités à y assister, de l’auteur primé et citoyen de Jonquière Hervé Bouchard (ça se passait en 2008).

Marie Christine Bernard participe ainsi à un projet théâtral qu’on devrait pouvoir voir mis en scène par Émilie Gilbert-Gagnon au cours de l’automne, et où il est question de la richesse et de la complexité du rapport mère-fille.

Bravo. Pour ma part, je me contenterai de ma chronique, je pense. Ce qui ne m’évitera pas nécessairement d’être aspiré par les vortex de la routine et de l’insignifiance.

Ça reste un dialogue avec la culture.