Au pays des géants
Au bord du feu, sur le caillou millénaire où la petite troupe s’est arrêtée, le sage vient de se lever. Les bras grand ouverts, parce que c’est comme ça que se racontent les plus belles histoires, il entame son récit.
Au pays des géants, tout est grand. Ça va de leurs maisons, qui sont évidemment immenses, jusqu’aux menus objets de tous les jours – les fourchettes, brosses à dents, bouteilles de boisson forte, tout.
Puis, comme pour appuyer son propos, le vieux sage prend une grande lampée au goulot qu’il tenait plus tôt entre ses genoux.
Les géants de ce pays, ils sont proches voisins de Jos Montferrand qui, le cul au bord du cap Diamant, traînait ses pieds dans le Saint-Laurent. Mais Jos, lui, il voit loin au-devant. Les gigantesques habitants du pays de mon histoire, eux, n’ont pas si bonne vue.
N’empêche, ils sont des grands parmi les grands, de ceux qui ont construit en grand, les grandes affaires, dans les plus grands paysages.
Au pays des géants, les enfants sont plus petits que les grands, c’est bien certain. Mais ils prennent tout de même beaucoup de place: grand besoin d’amour et d’attention, comme tous les enfants de tous les mondes.
Dans leur chambre de grands enfants – ou d’enfants grands, c’est selon -, on trouve quelque touriste dans le tiroir d’une commode. Parce que les géants, ils aiment ça, les touristes.
Ils aiment avoir la main sur l’un d’eux, parce que les touristes, on peut en faire ce qu’on veut, on peut les promener d’un côté comme de l’autre, on peut les regarder grouiller. Trois petits tours, et puis, s’en vont. Ils aiment les attraper, les épinglent dans des boîtes de collection.
Après avoir remis un touriste dans son tiroir, bien épinglé sur le velours de sa boîte spécialement conçue, le petit géant demande à son papa: quand tu regardes par la fenêtre, qu’est-ce que tu vois? Et le papa de répondre, honnête (ça on ne le lui reprochera pas): la fenêtre.
C’est la même chose quand vient le temps de parler de culture, chez les géants. Alors, ces derniers regardent leurs souliers. C’est bien connu, les géants, ils ne voient pas plus loin que le bout de leur nez.
Ils peuvent voir: l’endroit où ils mettent le pied. Ce qu’il leur coûtera s’ils marchent dans une flaque, ou s’ils doivent enjamber une racine.
Ils ne peuvent pas voir: le tracé de leur chemin qui se déroule jusque loin vers l’horizon. Pourvu qu’ils sachent faire le prochain pas, tout est parfait dans le meilleur des mondes. Le grand monde, évidemment.
Mais dans ce pays de gargantuas, il n’y a pas que des géants, et c’est bien ça le malheur. Il y a des petits êtres qui vivent là, nerveux et réactionnaires. Qui dérangent, qui inquiètent, parfois. Des nuisibles, qui piquent (des colères), qui mordent (la poussière, à l’occasion), qui dégoûtent (les bien-pensants). Des petits parasites qui ne sont absolument pas là pour faire beau. Les géants ne s’embarrassent pas de ça. Voudraient bien s’en débarrasser, en fait.
Allez, ouste!
Des petits êtres qui ne trouvent pas leur place dans les fonds de tiroirs encombrés par les touristes. Qui ne méritent pas d’être épinglés sur le velours. Qui se contentent de peu, faute de pouvoir demander plus.
Ils sont de ceux qui ont compris que s’ils regardent leurs pieds pour savoir où ils vont les poser, ils pourraient bien ne pas voir la semelle des géants autour qui pourraient les écraser.
Araignée du matin, chagrin.
Alors ils ont développé avec le temps cette faculté de voir loin, très loin. Trop loin pour les géants. Ils voient jusqu’à ces superbes lueurs qui paillettent l’horizon. Ils voient venir les dangers aussi, d’ici à là-bas, d’aujourd’hui à demain. Des dangers que les géants ne semblent même pas pouvoir imaginer, le nez collé à leur fenêtre encrassée.
Le vieux sage se tait, le goulot levé au bord des lèvres.
Tout a été dit. Tout le monde n’a pas compris.
Il se taira, comme d’autres avant lui. On ne peut pas être éternellement celui qui porte l’espoir et le savoir. D’autres devront suivre.
L’un des auditeurs se dresse à son tour, prend la parole.
Au pays des géants, il n’y aura pas de nouvelle salle de spectacle. On se contentera d’un petit auditorium, de ses limites, de ses possibles.
Cette consultation n’aurait de toute façon pas dû avoir lieu. C’est aux politiciens d’avoir une vision d’avenir, pas au peuple. On a voulu de cette consultation parce que les politiciens qui gèrent ce royaume n’avaient pas de vision d’avenir.
C’était une erreur, sans doute.
Saguenay ne changera pas ainsi. Un pays de géants demande, pour évoluer, des moyens d’envergure. Ce que les petits n’ont pas souvent.
Tandis que la vision des géants se buttera à la fenêtre d’une fausse transparence, les petits et les nuisibles continueront de se bouger. Ils sont en vie, encore et malgré tout.
Et à force de petits gestes, peut-être. Ils engendreront de grands mouvements.
Araignée du soir, espoir.
C’est à peu près ça le pays des géants!
Comme vous le dites, la fenêtre est sérieusement encrassée et ce n’est pas demain la veille que Saguenay aura le titre de métropole culturelle, bien qu’elle en soit la capitale!!!
Mesquinerie? Quant-à-soi? Manque de vision?Dictature? Le maire affirme en première page de l’autre journal qu’il n’est pas Hitler, mais sa position est tellement braquée qu’on dirait qu’il a cessé de rêver il y a cinquante ans.
S’il avait autant de culture que de ferveur dévote rétrograde, nous aurions peut-être un allié.