Notre livre à Paris
J’ai Paris plein les yeux. De la fenêtre d’un appartement minuscule (c’est un euphémisme) juché dans les mansardes, je vois les cheminées d’argile orange qui paillettent le tapis de toitures qui se répand jusqu’à l’horizon embrumé.
Avec le plaisir d’un p’tit cul sans responsabilités, j’ai découvert les alentours comme une spirale se défait peu à peu, m’appropriant les pavés ronds, les édifices magnifiques, les buvettes bondées d’amateurs de foot s’entassant même sur les trottoirs, les cafés tournés vers la rue. Et le jardin du Luxembourg, qui m’a littéralement avalé dès que j’y ai posé le pied.
Puis, plus loin encore, Saint-Germain-des-Prés, le musée du Louvre, le dôme des Invalides, et tous ces incontournables qui font de Paris une ville à part.
Mais surtout, à un pâté de maisons de mon appartement, non loin d’un marché qui déborde de fruits jusque dans la rue, j’ai trouvé un peu de chez nous: la Librairie du Québec à Paris (LQP).
Y entrer, c’est l’adopter. Deux étages de livres québécois, les ouvrages littéraires en haut, les généraux en bas. Des espaces plutôt bien aérés malgré la petitesse des locaux. Des sourires affables comme on n’en trouve pas tant, même chez nous.
Les livres qui s’y entassent semblent hors du temps et hors du monde: s’y déploie une belle collection des Félix Leclerc, Réjean Ducharme et autres. Même Le Matou a encore sa place dans les rayons. Et tout à la fois, on y trouve les dernières nouveautés, certaines en vitrine ou en présentoir, d’autres déjà en rayon parmi les grands qui ont tissé la trame de notre littérature.
Je connaissais déjà le petit commerce pour en avoir entendu parler à quelques reprises. J’aimais que le hasard l’ait situé tout près de cet appartement obtenu au rabais pour la durée du voyage. Je ne pouvais que profiter de cet avant-midi de grisaille pour visiter le local avant d’aller faire quelques emplettes.
Le projet de la LQP est né en 1995. Mais comme depuis les premiers balbutiements de la littérature québécoise (et canadienne-française), il n’est pas facile de faire vivre le livre de chez nous dans l’Hexagone.
«La France est un pays de livres», me disait lors d’une précédente entrevue la directrice de la LQP, Isabelle Gagnon. J’ai assez marché sur les pavés de Paris pour me rendre compte qu’elle disait vrai. Il y a presque autant de librairies que de pâtisseries – on sait se nourrir, à Paris!
Le plus souvent, outre les points de vente de la FNAC (LA chaîne de vente de livres en France), il s’agit de librairies spécialisées. Ici, en philosophie. Là, en droit. Là encore, en cinéma. Il y a même une librairie érotique, La Musardine, pas trop loin du cimetière du Père-Lachaise. Déroulez la liste de tous les sujets possibles, vous trouverez dans Paris une librairie qui s’y consacre.
Le phénomène s’explique peut-être. On peut imaginer que ce soit redevable à la loi du prix unique. Si toutes les librairies vendent les mêmes livres aux mêmes prix, c’est par la spécialisation qu’elles sauront se démarquer. Autrement, elles ne réussiront à attirer que les clients potentiels qui vivent dans leur quartier.
S’inscrivant à merveille dans ce phénomène, la LQP se spécialise donc en livres québécois. Mais son rôle ne se résume pas à la vente de bouquins; c’est un peu comme une porte entre deux univers étrangers.
«Souvent, les Français qui veulent se rendre au Québec viennent s’informer ici. On nous demande même ce qu’il en est des lois sur l’immigration, et quels sont les besoins en termes d’emplois au Québec.» dit Isabelle Gagnon. D’ailleurs, sur place, on vend aussi des cartes routières de toutes les régions du Québec, différents guides de voyage, etc.
Selon la directrice, 95 % des visiteurs de la librairie seraient des Français amoureux du Québec, contre 5 % de visiteurs québécois, le plus souvent des touristes franchissant le seuil par curiosité – j’en suis.
Dans la plupart des cas – même chez certains Québécois! -, on se surprend du nombre de livres publiés au Québec. C’est dire comment notre littérature doit encore travailler à se faire connaître, non seulement pour percer en France, mais pour atteindre le plus grand nombre sur notre propre territoire.
Malheureusement, la réalité étant ce qu’elle est, la plupart des livres québécois qui y sont offerts sont plutôt coûteux – transport oblige. Une situation qui aurait bien pu être fatale à la LQP avant qu’elle ne soit rachetée par Hervé Foulon (Les Éditions Hurtubise HMH), lorsque l’organisme croulait sous les dettes, au début du millénaire.
Depuis, la situation s’est améliorée. Mais le milieu du livre est toujours fragile. Alors que dire d’une initiative comme la LQP!
Ça tient presque d’une mission. Voire d’une croisade.