Des fleurs pour la reine
J’ai donné des fleurs à la reine.
À la petite école du hameau de bord de fleuve où j’habitais, tous nos efforts étaient allés dans ce sens pendant plus d’une semaine: il fallait bien accueillir la grande dame, préparer la rencontre. Petits ciseaux cliquetant en étiolant des retailles de carton de construction, longs pinceaux ondulant maladroitement, jolies menottes sales, petites voix flûtées répétant l’hymne national.
Quand je ressasse ce souvenir dans ma tête, j’ai l’impression d’un étrange anachronisme. Quelque chose comme une incohérence historique.
En fait, nous aurions pu être n’importe où ailleurs au Canada. Une école acadienne de la Péninsule. Un établissement scolaire du Manitoba francophone. Mais dans un petit village du Bas-Saint-Laurent?
Une inquiétante étrangeté.
Au point où, avant d’écrire ces lignes, je me suis demandé si je n’avais pas tout simplement rêvé. Parfois, quand on est un enfant très imaginatif, on peut voir au petit écran un autre garçon offrir des fleurs à une reine. Et finir par croire qu’on l’a fait soi-même.
On s’invente une histoire. Et on finit par la croire.
N’est-ce pas comme ça qu’on apprend la vie, de toute façon? Et l’amour. On s’en raconte de belles. Et on y croit très fort.
Mais cette histoire, elle est vraie. Ça se passait en octobre 1987. Après une visite de la Vieille Capitale plus calme que la précédente (en 1964, son passage avait suscité la controverse, et de méchants nationalistes québécois avaient proféré des menaces à son égard), elle s’était perdue dans mon coin, s’arrêtant à Rivière-du-Loup.
Alors, sur la route panoramique de la 132, allait un autobus brinquebalant, plein de jeunes excités tout prêts à se laisser éblouir.
Aller voir la reine, c’était spécial. Un moment qui devait être inoubliable. Comme de savoir qu’on rencontrerait le vrai père Noël. Qu’il arriverait avec son vrai traîneau, tiré par ses vrais rennes. Quelque chose comme une expérience folklorique.
Déplacer un groupe de jeunes gens excités étant toujours une expérience plutôt hasardeuse, quand le bus nous a recrachés dans un spasme jaune sur les lieux de la visite, il était déjà plus que temps que nous arrivions. Toute la petite marmaille s’est bousculée par la porte-accordéon. Je devais être dans la lune – comme ça arrivait «parfois» – parce que je me suis retrouvé en queue de peloton. Donc, au bout de la rangée de sièges.
Et c’est à ce moment précis que tout a basculé. Quand des organisateurs sont venus distribuer des bouquets de fleurs pour qu’on puisse les offrir à notre tour à l’illustre visiteuse. Je n’étais pas vieux, mais je me contais assez d’histoires dans la vie de tous les jours pour savoir quand quelqu’un voulait m’en pousser une bonne.
Alors c’est comme ça que ça se passe. Les fleurs données par des enfants ne viennent pas toujours de ces enfants.
Et les journaux de l’époque ont souligné l’accueil chaleureux qui avait été réservé à la digne invitée.
J’étais bien préparé à aller voir le spectacle de la royauté dans toute sa splendeur – quoique le décor était plutôt cheap. Mais tout de même, de savoir que l’assistance faisait partie du spectacle, ça m’a un peu troublé.
Lorsqu’elle a débarqué il y a quelques jours, la reine était accueillie par une poignée de curieux. Des enfants avaient des bouquets à lui offrir. Des royalistes faisaient le pied de grue sous la pluie en attendant l’illumination.
Joli clip à passer aux nouvelles. Un peu comme quand on montre sur l’écran radar d’un aéroport, au mois de décembre, le point lumineux censé représenter le passage du père Noël dans l’espace aérien canadien.
Quelque chose comme du folklore.
Mais la reine n’est pas qu’un personnage amusant. Ni un bonhomme Carnaval, ni un Youppi qu’on a envie de voir faire des galipettes. Même si la constitution a été rapatriée au Canada en 1982, Élisabeth II est encore officiellement souveraine du Canada. Elle est notre chef d’État, et à ce titre, règne sur le pays. Elle a beau parler mieux en français que Stephen Harper – et qu’une trâlée de ses ministres -, elle peut bien vanter l’unité canadienne, ça ne l’a pas empêchée de signer la Constitution même si cette dernière n’a jamais été approuvée par le Québec.
Selon le site du gouvernement canadien consacré à la visite de la reine, «Sa Majesté unit tous les Canadiens dans une allégeance et donne un sens collectif de l’appartenance au pays». Si c’est ça le ciment de l’unité canadienne. Des chorégraphies patentées, des décors en papier mâché. Ça peut bien fissurer de partout.
Un système politique archaïque qui repose sur des symboles éthérés. Nous voilà bien arrangés.
Et je m’en retourne sur les chemins de mon quotidien en fredonnant le Chant d’un patriote.
Double message dans ce commentaire, à moins que je sois encore dans le champ. Ça se peut fort bien. Je décode une pensée « critique » face à la reine et à ce qu’elle représente, mais en même temps, je vois que vous, monsieur Caron, avez tout de même pris de votre temps, dans votre blogue de la semaine, pour parler de la reine.
Peut-être pour nous dire que vous aviez fait sa « rencontre » à un jeune âge, comme j’ai plaisir à raconter à mes jeunes que j’étais au stade olympique pour aller entendre la Dufresne;) Il y a des personnages qui même contestés, marquent et on se surprend à relater ses souvenirs de cette personne, en même temps que l’on s’en défend un peu. En passant, je ne me défendrai jamais d’avoir été une fan finie de la Dufresne.
J’aime tout de même votre texte, monsieur, car je vois le petit garçon qui allait voir la reine, même avec les déceptions qui ont suivis. On s’en raconte de belles parfois et pourquoi pas? Et même petit, on n’est pas assez naïf pour ne pas voir le jeu des adultes. Et à partir de ce moment, il faut redoubler d’efforts et de créativité, pour mettre de la poésie et de la magie dans la vie, ce que vous faites à merveille monsieur Caron.