Coup de chaleur
Des petites fraises des champs plein la gueule. Ça goûte bon, l’été. On le sait tellement, avec toutes les émissions bonbons qui parlent de bouffe à la télé depuis juin.
C’est sûr qu’on ne peut pas en dire autant des autres saisons. Le printemps, comme l’automne, ça goûte plutôt brun. Puis l’hiver, ça ne goûte rien.
Alors, qu’on en profite, des saveurs de l’été. Les petits fruits. Le poisson frais pêché. La bière bien froide. Les légumes arrivés droit du marché. Ou mieux, des mains du fermier lui-même. Qui vous les donne avec au milieu du visage un sourire étiré en banane.
Parce que l’été, aussi, c’est gentil. Comment ne pourrait-on pas montrer toutes les dents qu’on a dans la bouche quand tous ceux qu’on rencontre le font? Le soleil plombe, l’eau de la piscine est fraîche, la clim fonctionne au max, on rêve à la fin de la journée. Tout-le-monde-il-est-content.
Soyons gentils.
Et soyons futiles.
Alors je me suis mis le cul dans l’eau. Puis, j’ai débouché une cuivrée en me disant qu’elle aussi pourrait blondir au soleil, comme la petite voisine de six ans qui a les cheveux plus clairs, déjà.
Ça faisait deux jours que je me cassais la tête à chercher ce dont je parlerais dans cette chronique. À me morfondre devant l’absence de débats intéressants. Entre les épisodes de pluie et la chaleur caniculaire, j’avais cette étrange impression que plus aucun autre sujet n’existait. J’ai presque fini par le croire.
À moins d’avoir passé les derniers jours sous la surface (avec un tuba et des lunettes de plongée, la piscine est un refuge idéal), on a tous eu droit aux discours sirupeux que les critiques ont tenus à propos de ce film traitant de la vie du commandant Piché. On dit de Piché: entre ciel et terre que ce serait le film de l’été. Rien de moins. Pourtant, un avion qui s’écrase, ça ne peut toujours pas voler bien haut.
Remarquez que je le crois, ce pourrait être un succès au box-office. Les Québécois aiment les héros issus de la plèbe. Les demi-dieux imparfaits. Alors, que le film soit bon ou non n’y changera rien.
Surtout qu’il y a l’air climatisé dans les salles de cinéma.
Je me demande si la chaleur nous rend plus gentils ou plus niaiseux. Dans un cas comme dans l’autre, je me dis qu’on devrait peut-être plutôt se fermer la gueule.
«Où est passé tout ce monde qui avait quelque chose à raconter?» Anachronisme sans doute dû à un coup de chaleur, on dirait qu’Harmonium joue dans le piton à travers la fenêtre ouverte d’un voisin.
C’est vrai, au fond. Où ils vont, en été, les critiqueurs, les révoltés, les crinqués?
Ils sont toujours là. Le problème, c’est que sous le soleil, il n’y a plus de débat qui tienne. Même lors des élections complémentaires dans Vachon, après la victoire du PQ, Québec solidaire a félicité son opposant en déclarant le résultat «sans équivoque». Je mettrais ma main au feu que le soleil y est pour quelque chose.
Pas de prise de position, pas de soulèvement. Pas un mot plus haut que l’autre.
Parce qu’au-delà de 35 degrés Celsius, si quelqu’un s’enrageait, personne ne le comprendrait. Il y a des passions impossibles à concevoir quand on a chaud. Quand on sue à grosses gouttes, qu’on n’arrive pas à avoir même l’envie de manger. Difficile de croire que des révolutions aient pu avoir lieu à plus de 35 degrés Celsius. Dire que Che Guevara a tenu à aller en Bolivie après avoir marché sur La Havane. Il n’avait pas eu assez chaud, sans doute.
Non, plus de soulèvements. Pourtant rien n’est vraiment réglé.
C’est comme si nous faisions une longue sieste, sous les auspices du soleil écrasant.
Je suis en train de lire Infrarouge, de Nancy Huston, qui trouve son décor en Italie. Là-bas, comme dans plusieurs pays du Sud, on fait la sieste en après-midi. On en profite parfois pour faire l’amour.
Quelle pratique extraordinaire.
C’est certainement la seule raison qui pourrait me faire renier que je viens d’un pays nordique.
C’est peut-être justement ce qui se passe. On dort un peu tous sur la switch. Il faut dire qu’on a tellement gueulé au cours des derniers mois. Je ne rappellerai pas tout ça – on ne brasse pas les dossiers chauds quand il fait 35 degrés Celsius! Mais c’est vrai, on s’est tenus debout.
Et même les gueulards ont besoin de vacances. Entre deux cris, il faut reprendre son souffle.
J’espère qu’ils se la coulent douce, pour vrai, nos amis gueulards. Qu’ils reprennent des forces. Qu’ils ne s’endormiront pas aussi profondément que la démocratie. Parce que rien n’est réglé.
Une autre poignée de fraises des champs. Je vais aller me rafraîchir. Et me taire.
Le silence et la chaleur font bon ménage. Pour un temps.
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(ajout: mercredi, j'apprenais à la radio de Radio-Canada que le mouvement laïque québécois en remettait avec l'histoire de la prière à l'hôtel de ville. Je n'ai pas trop compris quelle mouche l'avait piqué. Il faisait plus de 35 degrés Celcius.)
Comme elles sont bonnes, les fraises des champs!
Et tandis que l’été s’étire, au travers des enfants exigeants et des sangrias bien méritées, arrive le temps des framboises. Les pieds dans l’eau, je rêve que je suis ailleurs. Dans mon songe d’une nuit d’été, la politique municipale ressemble à un lointain reflet sur l’eau au soleil couchant. D’une luciole dans les branches ou d’une étoile filante. Je pourrais formuler un voeu. Celui que la vie soit toujours aussi paisible, douce et généreuse.
Mais ce n’est pas le cas. Et je sais qu’après la saison des bleuets, il faudra reprendre les armes. Le repos et le recul laissent germer les idées. L’engagement se vit parfois dans le repli. La remise en questions. Le recentrement.
Mais il n’est pas moins présent. Juste « on mexican time ». Hasta manana!