Ce n’est pas plus compliqué que d’aller «développer» des photos à la pharmacie. Vous payez pour le matériel, un peu pour l’ouvrage, un minimum, vraiment, et le tour est joué.
On peut vous faire ça sur mesure. En noir et blanc ou en couleurs, selon votre choix et vos moyens. Avec des fleurs sur la couverture, si ça vous chante. Ou une photo de vous en maillot Speedo, si c’est votre genre. Bref, l’illustration de votre choix. Le reste dépendra du nombre de pages que vous aurez réussi à écrire.
Et alors vous pourrez enfin trimbaler votre livre tout frais sorti des presses, comme s’il s’agissait d’un vrai de vrai. Un livre en tous points pareil à ceux qu’on trouve chez le libraire.
Quand on dit qu’à cette époque, tout peut s’acheter, on ne se trompe plus.
Exit, donc, le travail de l’éditeur. Car celui qui se tourne vers l’autoédition peut tout faire lui-même, de la mise en page à la mise en marché. Jusque-là, pas de problème, ce n’est pas pire que ce type qui décide de faire lui-même le deck de sa piscine plutôt que de charger des ouvriers d’effectuer les travaux. Pourvu qu’il sache faire quelques mesures et se servir d’un niveau ou d’une perceuse électrique, ça ira. En autant qu’on tolère quelques erreurs.
Même chose pour l’autoédition: si on a un minimum de connaissances en traitement de texte, les outils fournis par les sites se consacrant à ce phénomène sont suffisants. Tout est à peu près automatisé, alors il suffit d’écrire, et c’est dans la boîte.
L’écrit désacralisé
Le directeur du site lepublieur.com, Jean-Marc Savoye, auparavant responsable de l’exportation chez Gallimard, puis chez Hachette, critiquait, lors de la fondation de l’entreprise, le rapport élitiste que nous entretenons avec la littérature: «Dans les pays francophones, on a tendance à sacraliser l’écriture, à la confondre avec la littérature. Or, on peut écrire et publier toutes sortes de choses: l’histoire de sa vie, de sa région, des recettes. C’est un fondement de la démocratie.»
Mais alors, il faut faire la part des choses. Plusieurs sites d’autoédition font miroiter le plus bel avenir aux ouvres de leur clientèle potentielle. On oublie de mentionner tout le travail nécessaire pour diffuser et distribuer leur «ouvre».
Il faut aussi savoir que l’éditeur n’est pas qu’un technicien. Il est garant de la qualité de l’ouvre. Souvent, lorsqu’on parle d’autoédition, là où le bât blesse, c’est qu’aucun travail de direction littéraire n’est prévu dans le processus. Pas de regard extérieur, pas de confrontation, pas de critique, pas de reconnaissance par des pairs. Ça peut donc donner n’importe quoi. Mais alors, vraiment n’importe quoi.
Car, en effet, comme le mentionnait Jean-Marc Savoye, tout ce qui peut s’écrire peut aussi être publié. Des recettes de la tante Bernadette contre les mauvaises odeurs jusqu’aux histoires salaces de son mari, en passant par la biographie complète du grand-père agriculteur et gosseur de bois. N’importe quoi.
Exactement comme pour les blogues.
Qui sait, comme pour les blogues, l’autoédition peut sans doute donner quelques ouvres suscitant de l’intérêt. Voire une perle, à l’occasion. Le problème, c’est de les dénicher. La perle, on veut la trouver dans un écrin, pas dans un sac de billes. Encore moins dans un pic de gravillons.
Quand on parle de livres, je ne sais pas si vraiment c’est la rareté qui crée la valeur, mais je pense qu’on peut affirmer sans trop se tromper que le valable reste rare.
Dans une nouvelle intitulée Pierre Grassou, Balzac présentait un médiocre peintre vivant dans l’amertume, confronté au mépris des «vrais artistes». Il dépeignait entre autres un salon d’exposition qui avait fait fureur en présentant certains chefs-d’ouvre triés sur le tas, mais qui a ensuite suscité de moins en moins d’intérêt en préférant montrer une multiplicité d’ouvres disparates à la valeur inégale: «ni la foule ni la critique ne se passionneront plus pour les produits de ce bazar. Obligées de faire le choix dont se chargeait autrefois le jury d’examen, leur attention se lasse à ce travail [.]. Au lieu d’une exposition glorieuse, vous avez un tumultueux bazar; au lieu du choix, vous avez la totalité.»
Ce choix. Celui que fait l’éditeur lorsqu’il accepte un manuscrit, lorsqu’il en refuse un autre. Celui qui nous empêche de sombrer dans la totalité pour nous y noyer.
Est-ce que les nouvelles technologies feront disparaître les éditeurs? Non. Même si certains auteurs reconnus se tournent eux-mêmes vers l’autoédition, que ce soit par l’intermédiaire d’un blogue d’auteur – un phénomène très répandu tant chez nous que chez nos voisins du sud – ou encore par l’entremise de l’autoédition.
L’éditeur est une bouée. On peut nager un bout de temps sans lui, mais au milieu d’un océan.
Et que penser des éditeurs qui publient leurs propres ouvres? Bah. Une bouée qui prend un peu l’eau.