Ça chantait dru
Assis sur la galerie, ça chantait dru, ça tapait du pied un peu maladroitement, ça déjouait le silence avec un harmonica ou une guimbarde. C’était parfois le sort tragique de Ti-Jean Latour, malmené par sa mégère de femme. Ou l’histoire de ce pauvre cordonnier, dont les avances ont été déclinées, dondaine laridaine matantatlou et la ridé. Ou la triste complainte de La Belle Françoise, que la guerre a séparée de son mari. Ou celle plus féministe de La Femme d’un soldat qui, voyant son homme perdre son temps et son argent à la taverne, avouera à ses enfants l’avoir fait cocu.
Nous étions des ovnis dans le décor heavy metal qui s’imposait à l’époque, et plus tard des monstres tarés dans le paysage culturel rapiécé devenu grunge. Nous autres aussi on a trashé sur du Nirvana, évidemment, mais on continuait de chanter nos vieilles tounes à répondre dès qu’on se retrouvait dans la rue.
C’est un ami qui avait déniché je ne sais où des 33 tours datant des années 70. Chanceux qu’il était, en plus, son père jouait de l’accordéon. Chez moi, il n’y avait ni violoneux ni conteur. Personne pour se lever debout pendant les grandes veillées. Personne pour s’écarter les bras d’icitte à demain juste parce que c’est comme ça qu’on raconte des histoires ou qu’on chante des tounes à répondre.
J’aurai été un soubresaut traditionnel dans une famille résolument tournée vers le progrès. C’est encore pas si mal. La plupart des jeunes gens de mon âge montrent un dédain certain pour la chose folklorique.
Des racines? Tu veux vraiment déchausser ça? Ouach. C’est tout sale, des racines. Laisse donc ça là. Rechausse-les, plutôt. Pis occupe-toi de tailler ce qui dépasse et de te mettre le nez dans les nouvelles fleurs – vite, elles sont éphémères.
Actuellement, on est 38 admirateurs du Rêve du Diable sur Facebook. Je n’ose pas regarder combien de fans de Marie-Mai la louangent sur sa page officielle.
Le folklore se perd. On préfère les jeunes et nouvelles vedettes. J’imagine que c’est normal.
On oublie que la chanson québécoise comme on la connaît aujourd’hui doit beaucoup à notre folklore. Qu’elle est née de sa rencontre avec la poésie, sous l’influence de chanteurs français comme Georges Brassens ou Léo Ferré. On se souviendra de l’incontournable duo de Jim Corcoran et Bertrand Gosselin – de l’excellente J’ai la tête en gigue, entre autres.
Bien qu’une poignée de formations trad se soient formées au cours des dernières années – on remarque aussi la recrudescence du conte sous toutes ses formes -, le trad peine à se décarcasser, à se débarrasser du carcan dans lequel il a trop longtemps été confiné.
La folklorisation de la musique traditionnelle québécoise a fait son ouvre. Elle est à peu près disparue. On a oublié qu’une tradition, il faut que ce soit vivant. On l’a figée dans le passé – et les tentatives de renouveau n’ont pas toujours été glorieuses. Que dire du Reel des soucoupes volantes de la Bottine Souriante, sinon qu’il s’agit d’un mariage plutôt indigeste? Une tentative de modernisation que j’ai toujours trouvée plutôt douteuse. Mais bon, chacun fait ce qu’il peut, j’imagine, pour remettre le trad au goût du jour.
Parce qu’il en a bien besoin, de ce renouveau. Avec le temps, on a fini par associer la chanson traditionnelle aux beuveries et à quelques événements ponctuels – que seraient la Saint-Jean-Baptiste ou le jour de l’An sans ça? Mais en dehors de ces moments particuliers, rares sont ceux qui l’écoutent encore.
Étrange qu’on arrive à attirer autant de monde au Festival international des rythmes du monde, mais qu’on n’arrive pas à faire écouter du trad aux gens dans la vie de tous les jours. Surtout que notre musique traditionnelle, ailleurs, fait justement partie de ce club qu’on appelle «les rythmes du monde».
Cette portée mondiale n’a rien à voir avec l’introduction des cuivres dans la formation de la Bottine Souriante. Notre trad est une musique essentiellement internationale. Il puise depuis toujours dans un corpus universel – seulement 5 % des chansons folkloriques québécoises seraient véritablement nées ici, la plupart trouvant leur source en Irlande, en Écosse, en France ou ailleurs en Europe.
Malgré ça, la musique folklorique reste un tabou dans les milieux branchés, où elle n’a jamais su entrer. Pour ma part, j’ai toujours préféré rester à la porte avec elle.
Évidemment, elle se fraie un chemin dans quelques belles soirées. Me souviendrai toujours d’avoir chanté des tounes à répondre avec le poète Gilbert Talbot devant un Richard Desjardins distrait, à l’île du Repos. Le pauvre diable, qui se faisait harceler par une femme passablement éméchée, devait se féliciter d’avoir rencontré deux types affublés d’une voix qui l’aurait fait passer, lui, pour un rossignol.
Là où l’on se méprend le plus souvent, c’est quant à la valeur artistique de la chanson traditionnelle. Contrairement à ce que plusieurs pensent, elle n’est absolument pas niaise. Et certainement pas aussi naïve que plusieurs chansons pop. Et si elle use parfois trop de la métaphore, c’est ce qui lui permet d’aborder les sujets les plus délicats – dont le sexe, qu’elle effleure souvent par la bande, et la religion, alors qu’elle attaque souvent les grenouilles de bénitiers et la piété excessive.
Faudrait pas penser que l’irrévérence est née avec la création des blogues personnels. Je connais des tounes – que je ne citerais même pas ici – qui pourraient en faire rougir plus d’un.
On se chantera ça si jamais on se rencontre sur une galerie. En tapant du pied un peu maladroitement et en déjouant le silence avec de vieilles cuillers. À moins que ce soit quelque part au parc Mars, dans le cadre des Grandes Veillées de La Baie.
Un autre événement ponctuel où l’on peut sans inquiétude se brasser la couenne et les racines.