La dictature de la démocratie
Voilà, c’est fait. Diffusion Saguenay (DS) affiche ses couleurs. La ministre de la Culture, Christine St-Pierre, aurait assuré de son soutien financier le nouvel organisme municipal, même félicité le maire Jean Tremblay pour les efforts qu’il a faits après la mise en faillite du Théâtre du Saguenay.
Après le lancement de la programmation de DS, le malaise anticipé s’est bel et bien répandu. Dans quelques chaumières, ça grince des dents. La frustration est encore grande chez ceux qui ont défendu bec et ongles la survie de la coopérative du Théâtre du Saguenay (TDS). On ne sait plus comment réagir. Certains vont même jusqu’à faire un appel au boycott. Il faut être désespéré. Ou ne pas comprendre ce que c’est qu’un boycott.
Ce qu’il faut savoir
Le boycott est un acte de communication. D’abord parce qu’il doit impérativement passer par différents médias pour être efficace. Ça explique que ceux qui le font donnent l’impression d’avoir beaucoup d’attention médiatique – d’abord parce qu’ils en font la requête incessante, mais aussi parce que les médias sautent sur l’occasion. Enfin un vrai beau conflit à mettre sur les presses!
On le conviendra, un boycott silencieux est particulièrement inutile. Ça fait des années que je boycotte Walmart, tout seul dans mon coin – depuis la fermeture sauvage de son magasin de Jonquière. Bon, évidemment, je dis tout seul, mais on doit bien être une poignée à le faire. Sans doute pas assez, puisque le géant du détail n’a en rien changé son attitude, continuant de trouver des failles dans la comptabilité de ses succursales où flottait le spectre d’un syndicat.
Mais surtout, si on dit du boycott qu’il est un acte de communication, c’est qu’il veut faire entendre un message. Mais qu’est-ce qui serait compris par DS si un boycott était enclenché? Renoncer à l’offre culturelle de DS aurait-il un quelconque effet? Est-ce que le fait de vendre moins de billets que prévu ou de perdre un peu d’argent pourrait soudainement changer la donne, au point de causer le démantèlement de l’organisme municipal pour redonner vie à la coopérative du TDS?
Ce n’est certainement pas un boycott qui aura cet effet. DS sait déjà qu’elle perdra de l’argent avec certains spectacles. C’était d’ailleurs le cas aussi pour le TDS: certains spectacles ne sont tout simplement pas rentables. Voilà le problème: je mettrais ma main au feu que ceux qui seraient assez passionnés pour participer à un tel boycott sont justement ceux qui consommeraient ces spectacles de niche.
À l’opposé, la programmation de DS est bourrée (jusqu’à l’obscénité, il faut l’avouer) de spectacles prédigérés qui attireront le plus grand nombre – et qui lui permettront de renflouer les coffres. Je n’en ferai pas la liste ici, mais quiconque s’y penche avec le moindrement d’attention ne peut qu’être d’accord.
Alors posons-nous la question différemment: qui souffrirait le plus d’un tel boycott? Je tente une réponse: tout le monde, y compris les consommateurs de culture et artistes. mais excepté DS et l’administration municipale.
Le statut de diffuseur majeur
Ce qui est inquiétant, c’est quand on remarque l’attitude du maire par rapport au statut de diffuseur majeur – qui vient avec une subvention, mais aussi avec des devoirs, dont celui de diffuser des spectacles de qualité, dans toutes les sphères culturelles, y compris les secteurs de niche – la danse, par exemple.
Lors du lancement de la programmation de DS – qui contient encore des spectacles de danse -, le premier magistrat lançait, avec cette bonhomie qui fait sa réputation (ses supporters le trouvent sympathique, ses opposants le traitent de clown): «Qu’on soit reconnu ou pas, ça ne change rien, ce n’est pas grave du tout, ce n’est pas ça qui va nous empêcher de dormir.»
S’il répète sur toutes les tribunes que ce statut n’a pas d’importance, il ne faut pas croire qu’il ne sait pas qu’une subvention vient avec le titre. Cet homme sait compter. Et il sait fort bien que si DS n’a pas d’obligation quant au contenu de sa programmation (ce qui vient avec le statut de diffuseur majeur), l’organisme pourra, à sa guise, ne produire que des spectacles rentables – ce dont la grande majorité de la population ne se plaindra jamais. C’est la dictature de la démocratie.
Non seulement le boycott manquerait sa cible, donc, mais à moyen terme – et peut-être plus rapidement que ça -, il pourrait avoir l’effet inverse : consolider DS dans une position qui ne servirait pas la diversité culturelle dont certains s’enorgueillissent encore.
De toute façon, le boycott doit être une mobilisation de masse. Or, ce n’est pas la masse qui espère la survie du TDS, mais plutôt une minorité – ce que nous a d’ailleurs prouvé la dernière consultation populaire à propos de la construction d’une nouvelle salle ou de la rénovation de l’auditorium Dufour, le TDS ayant pris position pour l’option qui a été rejetée.
On sait si un boycott sera efficace avant même qu’il ne soit amorcé. Quand sa seule évocation engendre un effet psychologique. Or, l’idée d’un tel boycott en a effleuré plusieurs. Et personne n’a frissonné au sein de DS.
Alors, frustrés du dossier de la diffusion à Saguenay, trouvez autre chose. Ne vous coupez pas de cette culture qui anime votre passion. Vous seriez les premiers à en souffrir.
Je suis bien d’accord qu’un boycott non concerté, ça ne sert à rien et ça ressemble beaucoup plus à une punition que l’on s’inflige. DS fait figure d’hégémonie culturelle et il faut décortiquer pour savoir de quelle culture il s’agit. Pour ma part, tous les spectacles présentés ne relèvent que d’une industrie dite culturelle, qui ne sert qu’à faire rouler une machine dont la rentabilité est le premier but, le dernier étant l’éveil culturel des masses.
Je suis consommateur de spectacles que je choisis selon mes goûts et préférences, mais quand le catalogue est tout ce qu’il y a de plus « middle of the road » et qu’aucun des spectacles proposés ne suscitent chez moi le soupçon d’un intérêt, je sens la bizness qui veut prouver que le jeu en valait la chandelle et que monsieur le maire avait raison.
Pour ce qui est de la culture, on en reparlera…aux élections!