On se souvient toujours d’une première rencontre qui a changé notre vie. C’était dans le sous-sol, chez mon cousin. J’avais les yeux rivés à l’écran de l’immense meuble-télé en couleurs – vous savez, ces téléviseurs gigantesques au coffrage de bois, qui avait d’abord été chez grand-maman… Pas jeune, jeune, déjà.
J’avoue que je ne me souviens pas trop de ce qu’il y avait tout autour. Congélateur, boîte à bois, poster coquin – le sous-sol était le monde de l’homme dans cette famille, son refuge, comme l’est aujourd’hui pour moi mon bureau: une cellule de repos qui n’admet l’invasion de personne d’autre.
C’est dans cette ambiance de profanation, que dis-je, de sacrilège, que l’événement s’est produit: j’ai rencontré Mario.
Depuis l’achat de la console NES, mon oncle devait négocier avec l’envahisseur, son fils investissant les lieux aussitôt et aussi longtemps que possible pour faire évoluer le plombier briseur de briques dans son monde fabuleux. Les premiers temps, il devait même admettre dans son sanctuaire les beaux-frères, belles-sours. même la belle-mère.
Nous autres, les jeunes, on avait juste hâte que les vieux s’en aillent pour pouvoir recommencer à jouer. Mais à rebours, je trouve ça fascinant d’avoir vu ma grand-mère se servir de la petite manette grise, se secouant les bras de tous les côtés pour donner une swing à Mario…
Ce n’était pas ma première expérience d’un jeu vidéo, évidemment. Pendant que mon cousin utilisait encore un Coleco – des heures de bonheur à grimper des échelles en évitant les barils du méchant Donkey Kong -, moi, j’avais pu me faire la main sur un Atari et son interminable Space Invaders.
Mais la NES, en particulier Mario Bros, c’était autre chose.
C’était audacieux. Complètement pété. Comment a-t-on pu transformer en un superhéros de jeu vidéo un plombier rital, moustachu de surcroît? Quelles étaient les chances qu’on s’intéresse à un jeu où il faut voyager par des tuyaux, manger des champignons (y a-t-il moins prisé chez les enfants que ces légumes?), éviter des fleurs qui tirent des boules de feu, des tortues et des moignons de Gremlins lobotomisés, vaincre des lézards punks et obèses, et plus tard, lancer des légumes, chevaucher des lamas imberbes qui pondent des oufs, se déguiser en grenouille et en raton-laveur, et on en passe de plus belles.
Aucune chance. Vraiment. Paradoxalement, je crois que c’est justement pour ça que l’entreprise s’est soldée par un tel succès. Rappelons que plus de 40 millions de cartouches du premier Super Mario Bros ont trouvé preneur, un record qui n’a jamais été égalé depuis. Et le succès dure. Il ne faut pas se leurrer: la Wii, dont les graphiques n’ont rien à voir avec les autres consoles du marché, lui doit encore une bonne partie de son succès.
La semaine dernière, c’était l’anniversaire d’une amie de mon fils. Dans l’appartement du papa, ça jouait bruyamment. Mario Party, et autres variations sur le même thème. À son retour, mon fils avait plein les poches des bonbons à l’effigie du plombier le plus populaire du monde.
Il est toujours dans le coup, le moustachu. Après avoir passé deux ans dans les arcades, où il a eu quelques tuyaux dès 1983, il a commencé sa véritable conquête du monde en 1985, prenant d’assaut les salons – et les sous-sols. C’était un an avant le but d’Alain Côté (qui était bon), 11 ans avant le déluge du Saguenay, 16 ans avant la destruction du World Trade Center. Il a vu apparaître les CD et les DVD, se développer l’Internet, les téléphones cellulaires, le protocole de communication wi-fi. Etc.
Ça fait 25 ans qu’il l’a, l’affaire. Ce qui équivaut à 224 millions de jeux vendus dans le monde entier, toutes versions confondues.
Vingt-cinq ans qu’il passe tout son temps avec les enfants et les ados, au salon, dans l’auto, dans la cour d’école ou dans l’autobus jaune. Il les occupe, les désennuie, les obnubile, les garde, les éduque, même, dans certains cas. Leur apprend le bien et le mal – Bowser, les studs, retenir les femmes contre leur gré, c’est mal; être galant, se surpasser, cent fois sur le métier remettre son ouvrage, c’est bien.
Il l’a fait avec moi, le fait avec mon fils – mes fils! Et il n’a pas vieilli d’un poil. Sacré champion. Moi j’ai vieilli.
Vous n’alliez pas croire que je me permettrais de dénigrer le maître, non? Ça fait 25 ans qu’il est mon ami. Et aujourd’hui, il est celui de mon fils. Alors pas question de dire que les jeux vidéo, c’est mal.
Évidemment, c’est comme pour tout. Ça prend un certain équilibre. Bien sûr, mon amoureuse nous le rappelle quand elle le peut, il faut jouer dehors, faire du sport, lire, pis toute la patente. Mais je passe trop de beaux moments en compétition avec mon plus vieux pour renier tout ça.
Je ne l’avais pas vu venir, mais le pont le plus solide qui est en train de se construire entre les générations, c’est une console. C’est pas assez solide pour qu’on monte dessus, mais ça rapproche.
Allez, fiston. Fais tes devoirs. Quand tu auras fini, on se fait une petite game.
Tu me donneras une chance.
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