Complètement Martel

Le sexe des profs

C’est une petite école de quartier, une de celles qui pourraient bien fermer bientôt. Parce qu’on le sait, les petits gars et les petites filles, dans les quartiers, il y en a moins qu’il y en avait.

Une école de quartier comme bien d’autres à peu près pareilles. Un établissement d’enseignement essentiellement contrôlé par des femmes. Avec des enseignantes mur à mur (même pour le cours d’éducation physique!), et une directrice pour gérer tout ça. Si ce n’était du christ encore crucifié au-dessus de l’armoire de la classe, il n’y aurait pas d’homme dans toute cette histoire. Hormis le concierge qui, conscient du rôle qu’il a à jouer dans ce décor, profite de son passage pour dispenser aux marmots les recommandations d’usage. Pas de casquette dans l’école. Ramassez-vous. Jette ça dans la poubelle.

Dramatique?

Les bonnes nouvelles

Les jeunes Québécois ne se débrouillent pas si mal, si on en croit une récente étude de Statistique Canada, citée dans La Presse. Évidemment, quand on s’y penche, on se rend compte que ce n’est pas parce qu’ils abandonneraient moins le bateau. Mais parce qu’ils seraient plus nombreux à s’accrocher à la bouée que représente l’enseignement aux adultes.

Ce qui fait que, quand on se compare au ROC, on se console: 8 % de plus de Québécois auront un diplôme. Chouette.

Mais si nos petits gars raccrochent, ils ont encore tendance à décrocher plus que les petites filles – une différence de 11 %. Alors on ne se flatte pas trop longtemps la bedaine, s’il vous plaît.

Est-ce qu’il faut pour autant pointer le sexe des profs?

Les modèles

Ils sont nombreux à décrier le manque de modèles masculins dans les écoles primaires du Québec. C’est à mon sens un peu court, comme raisonnement. Les petits gars n’apprennent pas à devenir des mâles, au primaire. Ils ne se présentent pas en classe pour affirmer leur masculinité. Ils apprennent à lire, écrire, compter. Qui a dit qu’il fallait que les additions soient enseignées par quelqu’un du même sexe?

C’est primordial de cesser de dire que l’absence des hommes derrière les bureaux des profs est la cause du décrochage. De débarquer de sur le dos de ces charmantes enseignantes qui connaissent la différence entre les intérêts des élèves selon leur sexe et leur âge, qui ont tout à fait la compétence d’agir avec les garçons, de les aider à développer leurs talents et à s’épanouir.

On ne se demande pas si les mères peuvent éduquer leurs fils. Heureusement, qu’elles le peuvent, parce qu’au lot de pères qui ont déclaré absent pour les meilleures raisons du monde, il y aurait un trou gros comme ça dans le tissu social.

Tout au plus faut-il avoir conscience de l’absence de modèles masculins. Et proposer d’autres modèles de qualité à nos garçons. La pression reposera sur les épaules des papas. Ceux qui ne savaient plus où se mettre les pieds depuis la fin de la révolution sexuelle et la libération de la femme auront enfin un rôle clair à jouer. Finies les générations de mauviettes et d’hommes roses.

Après ma gang, je veux dire.

La leçon

Mais pour ce qui est des résultats scolaires, le problème est ailleurs. C’est tellement évident que ça devrait nous péter dans le front. Ce n’est pas le sexe du prof qui importe, mais les stratégies pédagogiques que le système lui permet d’envisager, la façon dont il s’adapte aux besoins viscéraux de ses élèves, qu’ils aient ou non un vit. Si l’enseignement aux adultes est si efficace, c’est peut-être un peu parce que les garçons ont vieilli. Mais c’est peut-être aussi parce qu’il s’agit d’un enseignement individualisé, respectant le rythme de l’élève – plutôt que le rythme du groupe.

Et surtout, c’est un milieu qui responsabilise l’élève.

Rien à voir avec l’attitude clientéliste qui a cours dans certaines écoles où des profs s’excusent presque de dire à l’élève qu’il a une mauvaise réponse. Vous savez, comme dans La Leçon d’Ionesco, lorsque le précepteur tente d’inculquer la notion de soustraction à son élève et qu’elle n’arrive pas à soustraire trois de quatre: «Non plus, Mademoiselle… Pardon, je dois le dire… ça ne fait pas ça… mes excuses.»

Les enfants ont besoin de sentir qu’ils ont en main leur apprentissage. Et à la lumière du succès de l’enseignement aux adultes pour le raccrochage des garçons, c’est peut-être un besoin encore plus criant pour eux.

Ce n’est pas le sexe des artisans du système d’éducation qui doit être mis en cause dans le décrochage des garçons. C’est le système lui-même, qui les attache sur des petites chaises en bois à longueur de journée. Et qui les laisse croire trop longtemps que le succès ne vient pas d’eux. Qui se font chanter, depuis Félix, «Attends-moi, p’tit gars, tu vas tomber si j’suis pas là!»

Jusqu’à ce qu’un jour quelqu’un – homme ou femme, ça n’y change rien – leur dise enfin: «T’es tombé? Relève-toi. Il n’y a personne qui peut le faire à ta place.»

Et qu’ils se relèvent.